J'emmerde le monde

"J'emmerde le monde
Je ne veux surtout pas choquer
Je ne cherche pas à être polie, ni même vulgaire
Nullement l'intention de provoquer
Je tiens juste à être sincère
Ne m'en voulez pas je vous prie
Car peu importe comment se porte le monde
Je l'emmerde aujourd'hui

Je voudrais faire une pose
M'asseoir à un café, regarder les gens défiler
Prendre une journée pour respirer
Discuter avec mes nombreuses personnalités
Faire une partie d'échec avec mon cerveau
Prendre le temps de me connaitre
Regarder au fond de moi, même ce qui cloche et qui est laid
Me mordre un peu, me faire saigner, toucher où ça fais mal
Me malmener, me combattre jusqu'au caveau si il le faut.

Ne plus faire d'efforts
Ne serais ce qu'une journée
Oter le masque, défaire ma carapace
M'octroyer le droit de dire que « ca ne va pas »
Me permettre de regarder au-delà de ce qui flotte à la surface
Me donner le droit de me détester, de m'insulter même si ça me plait

On m'en demande toujours plus
Sourit
Apprécie la vie
Dis oui
N'oublie pas les « merci »
Sois gentille, sois mignonne
Essaye encore
Encore un peu
Encore plus fort
Juste un effort

Je me sens tiraillée
Trainée de droite à gauche
Tirée de chaque côté
Et au milieu je me demande « pourquoi ? »
Je ne suis qu'une poupée désarticulée
Un être insensé en pièces détachées

Je ne possède rien que des milliards de pensées
Qui la nuit accompagnées de mon passé
Reviennent sans cesse me hanter
Je ne veux plus penser, réfléchir, me souvenir
Comment faire pour oublier ?
Sans arrêt les mêmes images défilent dans le noir
Ma chambre sombre est une salle de ciné
Toujours le même film destiné à me faire saigner.

Mon âme est souillée
Mais je veux rester sale
Mon corps est rouillé
Et je ne veux plus bouger
Mon corps est meurtri
Mais je n'ai plus d'envies

On me disait pessimiste
Mais hier encore, j'y croyais bien plus qu'à présent
On me disait optimiste
Me voici cynique jusqu'au sang
On me pensait rêveuse
Me voici dans des dédales de cauchemars
On me voulait lumineuse
Mais je ne suis bien que dans le noir

Le monde tourne parfaitement sans moi
Même si je pleure, même si je souffre, même si je meurs
Même si je ne fais plus semblant le temps d'une journée
L'univers et les hommes continuent leur course effrénée.
Alors s'il vous plait
Juste ce jour, juste une fois
Laissez-moi en paix
Souffrir, hurler, pleurer

Demain, promis je reviendrais
Je jouerai mon rôle
Je remettrais le masque
J'ouvrirai les rideaux
La lumière entrera et je l'affronterai à nouveau
Je remettrai mes chaînes et mes menottes
Je dirai que tout est « bien » tout est « beau »
Je mentirai, je réciterai mon texte sans fausse note

Alors juste pour aujourd'hui
Lâchez-moi la main
Laissez-moi sortir de la ronde
Me blottir dans un coin
Me foutre de tout
Et sans retouche ni verni vous dire qu'aujourd'hui
J'emmerde le monde"

"Dire oui à tout et à tout le monde, c'est comme si on n'existait pas"
Tahar Ben Jelloun. L'homme rompu