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Message  Marguerite Orignal Sam 6 Mar - 15:06

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Nox saisit avec plaisir le livre que son amie lui prêtait. Elle était en admiration devant la couverture, encore plus belle que celle des 3 autres tomes. Qu'en serait-il de l'histoire ?
-Salut, Nox , ça va ?
-Ah, tiens, salut Théo.
-Hé, t 'as pas une idée d'excuse que je pourrais sortir à la CPE pour une absence ?
-Quoi ? Mais pourquoi tu me demandes ça ?
-Oh, euh, rien, euh...C'est quoi ton livre ? Comment ça se fait qu'on te l'offre ? C'est ton anniv' ?
-Mais nan ! Mina me le prête! T'es sûr que ça va ?
Théo s 'éloigna, espérant vaguement avoir réussi à détourner l'attention de la jeune fille de sa gaffe, tout en essayant de se souvenir de l'élément grâce auquel sa bourde aurait pu être évitée. Quant à Nox , ses petites cellules grises entraient en action. C'était la 4° fois que quelqu'un lui demandait de lui rendre un service à la suite d'un prêt de livres.
Déjà, elle échafaudait les hypothèses les plus farfelues: en fervente admiratrice d'Agatha Christie, elle était déterminée à résoudre cette énigme.

Partie 1: En liberté

Eliott et Margaux vivaient ensemble depuis maintenant six mois. L’année suivant la fin de l'enquête avait vu de nombreux changements. Tout d'abord, il y avait eu le début de la relation amoureuse des deux jeunes gens, puis l’installation de Margaux. Ensuite, le 2nd étage de la maison d’Eliott avait été réhabilité il comportait désormais une cuisine et une salle de bains, c'était le domaine de Moïse. Les tourtereaux vivaient au premier, les pièces du rez-de chaussée avaient une fonction « communautaire ». Eliott travaillait toujours au Cirque d'Hiver, Moïse était toujours policier, Margaux avait quitté son poste à la maternelle, et avait réalisé son rêve de restaurant aux recettes inspirées du cinéma. Après sa démission, elle avait trouvé un emploi de serveuse. Là elle avait rencontré un jeune couple de cuisiniers, avec qui elle avait évoqué son projet. Ils venaient justement d'hériter d'une vieille tante, qui leur avait laissé une coquette somme et sa maison, laquelle se trouvait en face de l'arrêt Pyrénées-Bagnolet du 26 direction gare Saint-Lazare. Dans ce nouveau repère de cinéphiles, le jeune couple officiait en cuisine tandis que Margaux tenait la salle, assistée d'Auguste, un lycéen de Marcel Ravel, établissement des environs. On pouvait y déguster le cake de Peau d'Ane, une glace à la noisette « Scrat-Age-de-Glace », des sushis « pingouins de Madagascar » ou « Gang de requins », et seulement le lundi, des raviolis « La Vie n'est pas un long fleuve tranquille ». Même le repas pantagruélique de Shrek et Fiona à leur arrivée à Fort-Fort-Lointain était reconstitué !! Quant aux boissons, elles allaient du lait à la Edgar des « Aristochats » au cocktail pomme-betterave des « Tontons Flingueurs ».
Auguste ne servait qu'en fin de semaine au « Chez Monstro », mais il y ramenait des camarades à l'heure du déjeuner ou après les cours. Parfois, certains venaient animer une soirée, munis de guitares. A la suite de quelques mauvaises surprises, Margaux n'engageait plus qu'après audition. Bien souvent, elle avait offert un accordeur plutôt qu'une date. Toujours par le biais d'Auguste, des lycéens exposaient leurs poèmes, dessins, films, photos. La priorité était bien entendu donnée aux musiques de films, poèmes reprenant des personnages ou thèmes cinématographiques, pastiches d'affiches de films, reproduction de scènes, de personnages ou de décors, etc...


Dernière édition par Marguerite Orignal le Ven 23 Avr - 20:35, édité 1 fois
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Message  Invité Sam 6 Mar - 19:01

OMG ! *0*

Je peux pas le lire maintenant, avec le bruit de la Play3 et des courses de voitures à 30cm de mes oreilles... Microclimat 646581

J'essayerai sur l'iphone durant un moment d'insomnie, ou demain, promis Wink


Dernière édition par Anthony le Dim 7 Mar - 0:16, édité 1 fois

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Message  Marguerite Orignal Sam 6 Mar - 21:54

Jean-Auguste Amédée des Maquisards !! Va te coucher et laisse lire ton frère !! naméoh !! xD
je me doutais que j'aurais dû le mettre en plusieurs morceaux ^^" c'est trop long pour faire un seul bloc....
j'espère que tu pourras le lire Smile
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Message  Marguerite Orignal Ven 23 Avr - 20:37

***

Mme Aqueduc poussa un cri modulé de sa voix haut perchée. Dans ses yeux on lisait l'horreur, dans sa voix, on entendait le plus grand effarement. Ses élèves se massèrent autour d'elle (c'est-à-dire qu'ils s'agglutinèrent autour d'elle, ils ne se mirent pas à se masser les uns les autres !), poussés par un mélange d'avidité de sensations fortes (sentiment habituel chez les adolescents) et par une curiosité maladive (sentiment davantage attribué aux concierges mais très commun chez les lycéens). Il y eut des cris d'effroi et de dégoût, des rires nerveux et des sourires sadiques, des teints soudains blanchâtres ou verdâtres. Au rétroprojecteur fixé au milieu du plafond de la salle de classe était accrochée une cravate bleue marine imprimée de drapeaux européens, au bout de laquelle pendait un chien. Mort, bien entendu. On avait pendu le chien de Madame Aqueduc.
Fait étrange qui ne fut pas remarqué immédiatement, au pied du chien, sur les tables de classe, reposait un homard...

***
-Eliott, Margaux, vous connaissez le lycée Marcel Ravel ?
On était dimanche, ni Margaux ni Moïse ne travaillait, c'était le printemps donc la période creuse pour Eliott qui travaillait au Cirque d'Hiver.
-Celui qui me fournit les ¾ de mes clients? répondit Margaux
- Celui d’Auguste ? ajouta Elliot
- Oui, c’est ça...Figurez-vous que le chien d'une prof de latin y a été pendu. On ignore par qui et pourquoi...et comme je suis nouveau au Quai des Orfèvres, on m'a collé ce dossier de dérangé du bocal.
-Pas de chance !
- Margaux, comme tu l'as dit toi-même, les ¾ de tes clients proviennent de ce lycée. Alors peut-être pourrais-tu....Enfin, je me demandais...Enfin, toi qui est proche des lycéens et qui les connais bien...Tu comprends, cette génération ne fait pas confiance à la police alors...
-Tu me demandes si je sais qui a tué ce chien ? Tu veux que je te mâche le travail, c'est ça ?
-Mais, non, pas du tout...Ne t'énerve pas...Simplement, peut-être que tu sais quelque chose à ce sujet...Des rumeurs sur une possible animosité envers ce professeur, par exemple.
-De l'animosité envers des professeurs! Tu te rends compte de ce que tu dis ? Rappelle-toi de tes années au lycée! N'importe quel lycéen a un peu de rancœur envers ses profs! Si tu ne m'en dis pas plus, tu peux rêver pour obtenir tes renseignements!
Margaux accepta de se renseigner sur une certaine Madame Aqueduc, professeur de lettres classiques au lycée Marcel Ravel, dont le chien Argos avait été pendu dans la salle de classe où elle s'apprêtait à donner cours.
Le lundi, elle apprit que la professeur avait la réputation d'être très stricte, mais très efficace. Le mardi, elle l'identifia comme étant une des clientes qui ne venait que entraînée par un collègue, ce qui arrivait heureusement souvent. Le mercredi, elle savait à peu près qui étaient les élèves à ne pas avoir eu droit à la réinscription en cours de latin en Terminale
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Message  Marguerite Orignal Ven 23 Avr - 20:39

Le jeudi matin, peu avant 8h, Margaux se rendait devant Marcel Ravel, pour tenter de récolter des informations sur ces fameux élèves. Parmi eux se cachait peut-être le meurtrier... Devant le lycée voisin, Hélène Poissonnier, il y avait foule et de curieuses barricades où l'on trouvait des vieux sapins oubliés et jamais ramassés, des prospectus, des sacs plastiques, des poubelles et des humains. Margaux passa rapidement, se frayant un chemin parmi les ukulélés, guitares sèches, skate-boards...Devant Marcel Ravel, le même spectacle l'attendait, en plus structuré. En effet, les poubelles surmontées d'un sapin où étaient accrochés des tracts, le tout entouré de barrières, formait une véritable sculpture. Sur les poubelles, s'égosillait une grande rousse, accompagnée du martèlement des poubelles par ses acolytes.
Margaux parvint à dénicher Auguste, lequel était muni d'un caméscope et paraissait s'amuser follement en compagnie d'un blond à catogan muni de tracts « Big Brother is watching you ».
-Salut le cinéaste !
-Salut Keira !
Margaux sourit. Il était passionné de cinéma et passait son temps à trouver des ressemblances entre la vie et les (nombreux) films qu’il connaissait. Il surnommait Margaux tantôt Keira (Knightley), Teri (Hatcher), ou Clotilde (Courau). Il trouvait qu’elle avait quelque chose d’elles toutes, ce qui n’était pas forcément flatteur, le mélange risquant d’être peu esthétique…
-Tu pourrais m'aider s'il te plaît? Je cherche les élèves qui n'ont pas eu le droit de se réinscrire au cours de Madame Aqueduc en Terminale: Félicien Nux, Saül Lechat, Lex Farouche, Gloria Wallnut-Crown, Ondine Tomazi.
-Et moi.
-Quoi ? Tu fais partie de ceux qu'elle a virés ? Merde !
- On dirait que ça te pose problème...Tu enquêtes de nouveau ?
-Oui...sur la mort du chien de ton ancienne prof de latin. Je te préviens, tu te retrouves sur ma liste de suspects !
-Je n'y suis vraiment pour rien ! Pour te prouver ma bonne volonté, je t'aide: tu ne trouveras ni Saül, ni Lex, ni Gloria devant le lycée aujourd'hui. Le blocus a été voté hier, ils sont donc restés au lit en toute connaissance de cause. Félicien est le grand garçon blond près des poubelles qui sautille joyeusement, et Ondine est la rappeuse aux oreilles de punk, près de Pyrrha, près des arbres là-bas, le plus loin possible des bloqueurs.
-Ok, merci.
Margaux se promena un moment dans la foule (si tant est qu'il soit possible de se « promener » dans une foule de lycéens, qui plus est bloquant un lycée) tout en observant ses suspects potentiels. En effet, pour l'instant, elle en savait trop peu pour les soupçonner de meurtre. Elle aborda les amis de Félicien, un blondinet à la mèche de poète et un roux à l'air rêveur. Ils restèrent assez évasifs, apparemment la question de Margaux ne les inspirait pas beaucoup. Ils finirent par insinuer qu'il était possible que leur ami ait été heureux d'arrêter le latin. L'un d'eux suivait d'ailleurs toujours le cours de Mme Aqueduc. Etait-il possible qu'il ait pendu Argos parce qu’il se sentait seul en cours sans Félicien ? Cette théorie était un peu trop farfelue...Margaux apprit aussi beaucoup de choses sur Ondine et Pyrrha. Ces deux-là formaient un couple inséparable, que la professeur de lettres classiques avait brisé en s'opposant à la réinscription d'Ondine. On leur prêtait beaucoup d'intrigues, amoureuses, crapuleuses, etc...Quelqu'un insinua même qu'un parfum de souffre flottait autour d'elles...Intriguée, la jeune femme les aborda en premier. Elle déclara être journaliste, parla du canicide, et du cours de latin. La pendaison canine faisait rire les filles, semblait-il. Au sujet de sa non-réinscription, Ondine déclara qu'elle « s'en foutait », Pyrrha regrettait le silence qui s'était désormais installé en cours.
Ce fut ensuite le tour de Félicien, qui n'accorda pas beaucoup d'attention à Margaux, laquelle releva qu'il portait un gilet de costume sur sa chemise et son jean slim, détail somme toute banal mais qui l'intrigua tout de même.
-Que pensez-vous de l'exécution illégale de ce chien? Vous soupçonnez quelqu'un en particulier ?
Margaux tentait d'adopter un ton professionnel, priant pour passer pour une vraie journaliste. Félicien haussa les épaules:
-Aucune idée, ça peut être n'importe qui, mais ce gars-là devait être un peu timbré. Et puis c'est qu'un clebs, c'est pas sympa pour la prof, mais on s'en fout.
-Vous faites du latin avec elle ?
-Non, j'ai été viré de son cours. Et, je vais vous dire, c'est très bien comme ça !
A ce moment-là, éclatèrent les premières notes d'un des chants pseudos- révolutionnaires propres aux lycéens. Félicien sembla soudain enragé, comme si cette musique exerçait sur lui un pouvoir envoûtant. C'était donc peine perdue, autant essayer de faire parler la tombe d'un sourd-muet. Margaux se promena encore un peu dans la foule plus ou moins concentrée sur le blocus. Beaucoup fumaient, certains chantaient et sautillaient, d'autres se réjouissaient de ne pas avoir cours. Un jeune homme de petite taille, brun, des yeux noirs où brillaient la flamme du militantisme, distribuait des tracts du Parti Communiste, enjoignait les gens à venir à la manifestation et les priait de ne pas aller en cours. De temps à autre, il était abordé par une grande asperge aux boucles brunes démuni de tracts, mais remplissant le même office. Margaux se sentait peu à peu gagnée par l'enthousiasme ambiant. Elle se souvenait des manifestations lycéennes auxquelles elle avait assisté il y avait un peu plus d'une dizaine d'années. Cette vague nostalgie, associée au charme qui se dégageait des principaux meneurs de l'action ravélienne, et à l'éveil de sa curiosité à l'égard de cette affaire dépourvue de mobile tangible et de véritable suspect lui donnait envie d'aller manifester. A nouveau, elle aborda Auguste, lui demandant s'il pouvait la remplacer au restaurant ce jeudi, puisqu'il n'avait pas l'air de vouloir aller en cours. Malheureusement, il allait aussi à la manifestation et promettait pour « Chez Monstro » un reportage sur la journée, ses causes, et ses conséquences. Ce fut donc Elliot qui, sans avoir rien demandé, fut promu serveur « Chez Monstro » pour la journée. Vers 9h30, les gens commencèrent à esquisser un mouvement de repli. C'est alors que certains arrivèrent avec des poubelles récoltées sur le parvis d'Hélène Poissonnier dont les élèves avaient renoncé au combat. Ces nouveaux éléments de barricades servirent à bloquer le cours de Vincennes. L'opération ne dura que quelques minutes, il fallait trouver comment retenir la foule avide de regagner son lit. Margaux, qui en profitait pour distribuer des tracts publicitaires pour son restaurant, vit le camarade blond d'Auguste aborder plusieurs groupes de filles pour leur demander de chanter debout sur ces barricades précaires. Il eut malheureusement peu de succès. Grâce à l'éclair de génie de quelque quidam, l'espace dégagé par les poubelles servit de terrain de foot. Environ une heure plus tard, alors que l'entrain à taper dans la canette servant de ballon diminuait, le brun militant communiste se jucha sur une poubelle, muni d'un mégaphone. Apparemment, c'était le chef, Margaux avait même entendu une jeune fille le surnommer « chef des cosaques », surnom étrange mais qui lui allait plutôt bien. Il commença à déclamer la liste des lycées bloqués, laissant à ses camarades le soin de déduire quels étaient les lycées qui ne l'étaient pas et avaient donc besoin d'aide. De petits groupes quittèrent les lieux, courant à l'aide de leurs camarades. Peu à peu, le parvis du lycée fut déserté. Rendez-vous avait été donné à 12h30 devant l'établissement. Margaux alla déjeuner « chez Monstro », pour voir comment Eliott s'en sortait et si ses tracts avaient donné des idées à certains. Coup de chance, Félicien et compagnie étaient venus y déjeuner. Enfin, coup de chance...Ils venaient tout de même assez souvent! Margaux s'installa non loin d'eux, écoutant discrètement leur conversation. C'était assez étrange, leur conversation comportait des éléments normaux comme « je devais avoir contrôle de maths aujourd’hui »mais aussi énormément de choses incompréhensibles comme « si on considère que cette citerne peut contenir 6 citernes, alors... ». Ou ils étaient dingues, ou il s'agissait d'un langage de code. A 12h30, elle se rendit devant le lycée, où il n'y avait qu'une trentaine de personnes pour le moment. Petit à petit, des Premières et Terminales arrivaient, grossissant la foule. Une fille vêtue de noir à la figure rouge avait l'air d'avoir sifflé l'équivalent des bouteilles de champagne prévues pour le réveillon d'une caserne entière... Autrement dit, elle était totalement bourrée. Et ce grâce au subtil mélange vodka+coca-cola, lequel faisait le tour des participants. À 13h45, les candidats à la manifestation étaient un peu plus nombreux et le petit cortège se mit en route. L’arrêt devant Hélène Poissonnier ne fut pas très fructueux, malgré de véhémentes exhortations au mégaphone. On passa ensuite sur le cours de Vincennes en direction de la station de RER à Nation. Au passage, on recruta quelques personnes, et une vieille dame se mit à applaudir ces jeunes engagés décidés à ne pas se laisser marcher sur les pieds. Arrivés au RER, les participants étaient déjà beaucoup plus nombreux, en tout cas, ils l'étaient assez pour que les employés de la RATP acceptent d'ouvrir les portillons. Les pauvres le regrettèrent sans doute, vu le bruit que cette meute hurlante produisait. Pourtant les "manifestants chargés de la sécurité" (reconnaissables à leur brassard orange, et en gros les premiers à tomber sur les rails en cas de poussée trop vive, les premiers à être frappés en cas de CRS, ceux responsables de faire avancer, reculer, crier, chanter leurs camarades) s'évertuaient à faire des signes et à crier dans le but de réduire le niveau sonore. Dans le train, les chants, cris, exhortations reprirent de plus belle, au grand dam des voyageurs. Voilà à peu près ce que Margaux retint de leur répertoire, lequel ne changea pas jusqu'à la fin de la manifestation: « Darcooos si tu savaiiiis, ta réformeuuh, ta réfooormeuuh !! Darcoos si tu savaiiis ta réform'où-on-s'la meeet!!! », « Au-cu, au-cu Aucune hé-si-ta-tion !!!!! », « Non non non aux suppressions!! Oui oui oui A notre Education!!" », « "D'l'argent, y'en a ! Dans les soutifs à Carla !! », « Un pas en avant, trois pas en arrièreuuuh !!! C'est la politique de notre gouvernment !! », « Et hop, Darcos, ta réforme elle va sauter !! », « Dans la Chambre, il y a des députés qui se branlent toute la journée!! », « La meilleure façon de lutter c'est encore la noootreuuuh, c'est d'descendre dans la rue et d'manifester! »
Lorsque le cortège sortit du train pour en changer, ils étaient déjà beaucoup, beaucoup, plus nombreux. De plus les manifestants du parti anarchiste s'étaient ajoutés à ceux représentant les lycéens. Arrivés à Luxembourg, le cortège était composé de plusieurs lycées, Margaux souriait, admirative de cette énergie lycéenne qui semblait pouvoir renverser à elle seule le monde tout entier. Il était environ 14h, des représentants de divers lycées, partis, syndicats, organisations, étaient présents. S'ensuivit, eh bien....une manif': des cris, des chants, des "danses", de la marche, des sauts le tout sous la conduite des brassards oranges qui se tenaient par la main pour contenir leurs camarades, tout en fumant à qui mieux mieux (très dur quand on se tient par la main!!). Margaux rentra vers 18h, physiquement éreintée, mais mentalement ragaillardie, bien qu'elle n'ait pas avancé du tout dans son enquête. Mais elle avait l'impression d'avoir rajeuni, d'avoir fait le plein d'énergie pour découvrir qui avait bien pu vouloir faire souffrir sa prof de Latin au point de tuer ce fichu lévrier afghan.
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Message  Marguerite Orignal Ven 23 Avr - 20:40

Le lendemain, Margaux assistait à la déposition de Mme Aqueduc, en tant qu'assistante de Moïse.
-Tout d'abord, madame, veuillez nous excuser pour ce léger retard, mais nous avons préféré vous laisser récupérer après ce choc émotionnel.
En réalité, la police avait simplement mis cette affaire à plus tard, préférant s'occuper de dossiers « plus sérieux ».
-Bien sûr, je comprends, commenta la professeur de sa voix flûtée.
-Le mardi matin, quand vous êtes partis de chez vous, qu'avez-vous fait de votre chien ?
-Comme tous les jours, je suis partie de chez moi en y laissant mon chien, la porte fermée à clé.
- Êtes-vous bien sûre d'avoir fermé à clé ?
- Absolument.
-Avez-vous jamais parlé de l'existence de votre chien à vos élèves ou à vos collègues ?
-Je ne pense pas.
-Je vous en prie, essayez de vous souvenir. À aucun moment n'avez-vous mentionné votre chien à vos élèves?
-Ja-mais. J'en suis certaine. Je ne fais jamais mention de ma vie privée en cours. Cela arrive à certains collègues, mais à moi jamais. J'ai une certaine force d'esprit et une grande maîtrise de moi-même, quoique vous puissiez en penser.
Madame Aqueduc pinça les lèvres, pencha la tête et darda un regard noir vers l'inspecteur de police. Margaux se retint de sourire. Le professeur de Latin avait alors un masque répréhensif qui correspondait parfaitement à la description de vieux dragon qu'en faisaient certains clients de moins de 18 ans « Chez Monstro ». La suite n'eut pas beaucoup d'intérêt. Margaux tapa le procès-verbal que Mme Aqueduc signa, puis la raccompagna. La professeur la reconnut, et Margaux en profita pour lui suggérer de passer un de ces jours « Chez Monstro ».
C'est ce qu'elle fit, quelques semaines plus tard. Il était 20h, on était lundi, c'était la fin du trimestre. La salle était comble tous les soirs depuis une semaine car c'était la période des conseils de classe. En effet, parmi les professeurs, délégués et autres, il y en avait qui préféraient manger au restaurant, après le conseil plutôt que chez eux après une heure d'embouteillages l'estomac gargouillant. Margaux parvint par miracle à attraper un moment pour s'entretenir avec Mme Aqueduc qui dînait seule à sa table. Elle était arrivée l'air profondément furieux puis s'était détendue peu à peu. Margaux s'assit face à elle, armée de son plus beau sourire.
-Le repas vous a plu ?
-C'était très bien, vous direz au Chef qu'il a beaucoup d'imagination.
Cette remarque fut accompagnée du magistral sourire encourageant qu'elle réservait d'ordinaire aux élèves qui avaient obtenu une bonne note au prix de grands efforts.
-Oh, mais vous n'avez pas mangé de homard ?
-Non...si j'avais su que ce menu comportait cet aliment, je ne l'aurais pas commandé. Je ne supporte plus le homard depuis la mort de mon chien. Vous comprenez, quand il a été pendu, on a retrouvé un homard à ses pieds.
-Oui, je sais...C'est étrange, vous ne trouvez pas ? La polie n'a pas cru bon de se renseigner à ce sujet. Votre chien s'appelait Omar ?
-Absolument pas, assura-t-elle, péremptoire et presque scandalisée. Il s'appelait Argos. Je ne cesse d'y réfléchir mais je ne vois pas pourquoi on a placé ce crustacé près du cadavre de mon canidé.
-Sans doute une mauvaise plaisanterie d'un élève contrarié. Le métier de professeur est bien difficile.
-Je ne vous le fais pas dire. Mais il faut être passionné par cette profession pour avoir le courage de la pratiquer. Pour certains de mes collègues, ce n'est pas le cas, pour moi, si, et ce depuis plus de 30 ans, jeune fille !
-Certains évacuent la tension en écrivant. Il y a par exemple les recueils des « perles » du Bac, mais aussi des romans, et même...Ah, non, la Grammaire impertinente, n'a pas été écrite par un professeur mais par l'écrivain Jean-Louis Fournier.
-Ah oui, je connais cet ouvrage. Il m'arrive d'utiliser cette méthode. Tenez, le mois dernier, en cours, j'ai donné comme exemple « Il pend son chien ».
-Et personne ne vous a demandé si vous aviez un chien ?
-Mais non voyons! Qu’allez-vous penser là ?
Ce fut à ce moment que Margaux parut s'apercevoir que ses services étaient nécessaires à la salle de toute urgence. Elle se leva et quitta le professeur avec un sourire. La soirée se termina comme beaucoup d'autres: Margaux prit les commandes des clients, les apporta, fit les additions, les transmit, débarrassa, nettoya les tables et la salle, pendant que Corinne et Mathieu s'occupait du nettoyage des cuisines. Tout à coup, alors qu'on donnait le dernier coup de balai, survint Charline. Déjà assez avinée, elle surgit les bras grands ouverts, un large sourire extatique aux lèvres, lesquelles étaient couleur prune, la couleur de la saison selon les magazines experts en la matière:
-Margauuuuuuuuux !!!!!! Ma restauratrice adoréeeeeeeeee !!!!!!!!!!!
-Charline...T'en es à combien de verres ?
-Rien du tout. Juste assez pour que tu me serves...le cocktail des Tontons Flingueurs.
-Hors de question. De toute manière, là, on ferme. Comment ça se fait que tu sois seule et ailleurs qu'en boîte en pleine saison morte pour le Cirque ??
-Pfff, t'es vraiment une rabat-joie, toi. Ça m'étonne pas que tu viennes jamais au VIP... Bon ben tant pis, je vais me servir en cuisine. J'imagine que le beau black est encore là ?
-Charline...je t'ai déjà dit qu'il était avec Corinne...
-Oh, ça va, je veux juste mater un peu ! Et puis « Charline », « Corinne » ça se termine presque pareil, il fera pas la différence avec quelques verres dan le nez...
-Tu es comme certains des ados que je vois ici tous les jours: tu es pleine de vie, tu ne te fixes aucune limite, tu vas jusqu'au bout de ce que tu veux, tu ne réfléchis pas aux conséquences, tu fonces et advienne que pourra...A 16 ans c'est magnifique, à 30 ans ça l'est moins...D'autant plus qu'à cet âge il n'y a plus le filet que tendent tes parents pour te rattraper...Attention, Charline!
Celle-ci lui tira la langue, redressa le menton en un geste de défi et se dirigea vers les cuisines d'un pas zigzaguant, tout en chantonnant. Margaux termina de passer le balai, puis vola au secours de ses collègues qui après leur longue journée n'avaient pas besoin d'une nymphomane à moitié ivre. Charline était un peu comme les Gremlins: en temps normal elle était une marieuse qui n'oubliait pas ses intérêts, mais si on lui donnait de l'alcool après le coucher du soleil, elle devenait une nymphomane qui ne se fixait aucune limite. Elle ramena sa meilleure amie chez elle, après l'avoir arrachée à la bouteille de rhum initialement destinée à certains gâteaux.
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Message  Marguerite Orignal Ven 23 Avr - 20:41

Le lendemain, Eliott surgit dans leur chambre, privant sa compagne de ses dernières minutes de sommeil, sous prétexte que le journal comportait un article ahurissant. La jeune femme se demanda un moment si Charline avait fait des siennes bien qu'elle l'ait raccompagnée, et entama la lecture du journal:

Grippe lycéenne

Nous avions eu la tremblante du mouton, la maladie de la vache folle, la grippe aviaire, la grippe porcine, voici la grippe lycéenne. Il ne s'agit pas ici d'un virus formé par « l'espèce lycéenne », mais d'un virus qui l'a élue comme cible de prédilection. Le professeur Baden-Wurtemberg de la Faculté de grippologie nous explique les raisons de cette contamination préférentielle: « Face à cette maladie, les lycéens sont particulièrement vulnérables pour trois raisons. Premièrement, la grande majorité des lycéens sont des adolescents, c'est-à-dire des êtres en pleine croissance, bourrés d'hormones, perpétuellement en train de grandir (pour la population mâle davantage que pour la population féminine) d'où fragilisation du système immunitaire. Deuxièmement, il faut incriminer leur mode de vie: pressions, tensions, frustrations, pics d'adrénaline le jour au lycée et la nuit en boîte. Troisièmement, les lycéens sont grandement fragilisés par leurs addictions: alcool, tabac, jeux vidéo, cannabis, sexe, chocolat, héroïne, crack, café, crème Nivea, ecstasy, musique, internet...Ceci montre bien la grande fragilité de la population lycéenne et explique pourquoi ils sont les plus vulnérables face à ce virus ». Les symptômes de cette nouvelle maladie sont autant psychologiques que physiques: rhume permanent, fatigue chronique, acné, douleurs aux mains, aux pieds et au dos, ongles rongés, hyperactivité, pertes de mémoire, déprime, fièvre politique irraisonnée...Cette grippe se transmet comme toutes les grippes, c'est pourquoi il est fortement conseillé par le Ministère de la Santé de respecter la distance sécuritaire de 2m avec les lycéens, d'éviter tout contact avec eux, de ne prendre ni le bus, ni le métro, et pour les professeurs & parents de porter gants et masques. Il est également recommandé de porter des bouchons d'oreilles afin d'éviter d'être gagné par leur fièvre politique, laquelle est le symptôme qui se déclare le plus rapidement. Au sujet des risques, le professeur Baden-Wurtemberg précise: « Il n'y a pour l'instant eu qu'un seul mort, en pleine manifestation. Il n'y a donc pas de quoi s'inquiéter. Cependant, la pandémie menace, et il faut donc savoir garder ses précautions.

Margaux était à présent parfaitement réveillée. Elle jeta un regard stupéfait à Eliott, ouvrit et referma la bouche comme un poisson rouge. Bon, elle n'était peut-être pas si réveillée que ça...Son amant lui sourit d'un air attendri et lui conseilla d'aller voir la rubrique « Faits Divers » qui lui plairait peut-être davantage.

Pendaison Canine

Un étrange drame vient de se produire en pleine crise étudiante. Tout a eu lieu au lycée Marcel Ravel, ce vendredi 8 mai, vers 16h. Mme A., professeur de lettres classiques, s'apprêtait à donner cours en salle 306, lorsqu'elle ouvrit la porte et découvrit son chien Argos pendu au rétroprojecteur au moyen de la cravate d'un collègue. Celui-ci, Mr B., nous a confié détenir plus de 360 cravates, et toujours en conserver quelques unes dans son casier « au cas où ». À ce jour, on ignore encore comment le canidé s'est retrouvé dans l'établissement. Le coupable risque une amende pouvant aller de 1500 à 3000 euros, selon l'article R655-1 du code pénal.

Margaux reposa le journal. Si la police elle-même ignorait comment le chien avait été introduit dans le lycée, c'est que cette enquête n'avançait pas du tout. Il était clair que les Condés avaient autre chose à faire que s'occuper de la pendaison du chien d'une prof. Mais comment avait-on pu faire monter un lévrier afghan au 3° étage, le faire entrer dans une salle, et le pendre alors que le pilier du rétroprojecteur se voyait depuis les lucarnes donnant sur le couloir ? On pouvait l'avoir pris pour un chien d'aveugle durant la montée, à condition que des personnes malvoyantes soient employées dans l'établissement, mais il était stupéfiant que personne n'ait rien vu du crime ! La jeune femme se souvenait parfaitement que lorsqu'elle était lycéenne, tout le monde traînait tout le temps dans les couloirs. Il y avait forcément, quelqu'un qui avait assisté au meurtre. En premier lieu, il fallait qu'elle interroge Mr B....
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Message  Marguerite Orignal Ven 23 Avr - 20:43

Deux jours plus tard, le temps que Moïse obtienne un rendez-vous avec Mr Bergeret pour y envoyer sa colocataire à sa place, Margaux se trouvait devant Marcel Ravel. Pour la première fois, elle voyait l'entrée du lycée dépourvue de ses décorations guerrières. Comparée à celle d'Hélène Poissonnier, l'entrée du lycée n'était pas très imposante. On avait l'impression de se trouver devant une maternelle, à cause de ces petits voilages gentillets aux fenêtres. Une maternelle avec des grilles en guise de portes: l'avenir rêvé par tous ces hommes politiques obsédés de sécurité ? Après tout, on était bien capable de convoquer au commissariat un enfant de 8 ans (et son père) pour s'être battu avec un camarade du même âge, suite à la plainte de la mère du camarade en question! Margaux actionna la sonnette du lycée, un sympathique « bzz » l'informa qu'il lui était possible d'ouvrir la porte. Un bourdonnement ? Est-ce qu'on ne se targuait pas de se distinguer des autres animaux par la parole ? Ailleurs, une voix électronique remplaçait le bourdonnement, mais c'était tout aussi peu humain. Alors qu'on martyrisait l'orthographe et la syntaxe, allait-on aussi abandonner le langage au profit de bruits « modernes » ? Margaux chassa ses pensées noires et entra dans le bâtiment. En face d'elle, il y avait les portes vitrées menant à la cour sur laquelle donnaient 3 bâtiments imposants. A sa gauche, elle voyait le couloir menant à l'Administration (dont les bureaux devaient être munis des charmants petits rideaux), puis une sorte de bureau-aquarium où devaient se tenir les rencontres parents-professeur (sans « s » à « professeur » le bureau était vraiment très exigu). A droite, il y avait un mur couvert de listes d'élèves, de salles et d'horaires, puis un couloir, qu'elle emprunta. A gauche, un panneau de liège couvert de petites annonces, en face l'escalier, à droite, les bureaux des Conseillères d'Orientation, puis la salle des professeurs, but de sa visite. Elle fut reçue par un homme assez grand au teint rose respirant la santé, aux courts cheveux bouclés d'un gris crayeux, et vêtu d'une chemise rose et d'un pantalon gris. Il portait une cravate ornée de fleurs semblables à celles qu'on trouve sur les tapisseries: c'était Mr Bergeret, professeur d'Histoire-Géographie et d'Histoire des Arts. Il lui serra la main et la fit asseoir.
-Bonjour Monsieur Bergeret, vous comprendrez aisément pourquoi nous avons souhaité vous entendre en tant que témoin...du moins pour le moment.
Le professeur acquiesça, sans paraître remarquer que Margaux avait gardé les yeux fixés sur son extravagante cravate, comme si c'était à elle qu'elle s'adressait.
-Tout d'abord, est-il vrai que vous emportez plusieurs cravates au lycée ?
-Tout à fait.
-Et où les conservez-vous ?
Il fit claquer son dentier et répondit:
-Une fois arrivé, j'emprunte le même chemin que celui que vous avez pris tout à l'heure, je vais dans la salle des casiers à laquelle on accède par cette porte-suivez-moi je vous prie. Après avoir choisi une cravate, je dépose celles qui restent dans mon casier, je prends un café, et je vais en cours par cette porte-ci qui mène à l'escalier B. Des questions?
Non, mais pour qui il se prenait celui-là ? C'était à elle de poser les questions pas à lui ! Elle décida de penser que ce devait être une déformation professionnelle inhérente au corps enseignant et passa outre:
-Qui a accès aux casiers ?
-Eh bien, je dirais le personnel d'entretien des locaux, les professeurs, leurs enfants, certains élèves lorsqu'on leur demande d'aller chercher des papiers oubliés dans les casiers...
-Pardon ? Vous avez dit « leurs enfants » ? Il y a des professeurs dont la progéniture étudie ici ?
-Oui, par exemple, la fille de ma collègue professeur de français, Mme Wallnut-Crown.
-Il y en a d'autres dans le même cas?
-Non, cette année c'est la seule. D'ailleurs, elle ne devrait même pas être là.
-Pourquoi ça ? Elle était sectorisée ailleurs ?
-Mais, mon petit, vous ne savez pas que la carte scolaire a été supprimée? Il n'y a plus de sectorisation, maintenant ! Non, si la petite Wallnut-Crown a failli être virée l'an dernier, c'est parce qu’elle venait à peu près une fois sur dix. Pour couronner le tout, elle ne cesse de bavarder! Elle est plus assidue cette année paraît-il, mais je ne l'ai plus dans ma classe. Personnellement, quand je vois Gloria, j'ai des envies de meurtre!
-Hum, oui, je crois qu'on s'écarte du sujet. Avant le canicide, saviez-vous que Mme Aqueduc avait un lévrier afghan nommé Argos ?
-Non, j'ignorais qu'elle eut un animal domestique.
-Ce jour-là, le vendredi 8 mai, aviez-vous apporté plusieurs cravates ?
-En effet, comme tous les jours.
-Celle retrouvée au cou du chien en faisait-elle partie ?
-Oui, je l'avais enfermée avec les autres dans mon casier.
-Entre votre arrivée et 15h45, l'heure approximative du crime, avez-vous ouvert votre casier ou pris une cravate ?
-Aucunement. Je suis descendu à 15h prendre mon café sans me préoccuper de mon casier ni de mes cravates. Puis j'ai fait cours de 15h05 à 16h pile, mes élèves peuvent en attester.
-N'avez-vous envoyé aucun élève chercher quelque chose dans votre casier ?
-Non, cela m'arrive rarement. Si j'ai envie qu'un élève aille se promener, je l'envoie plutôt au cabinet d'Histoire, en salle 200, chercher une carte.
-Avez-vous une idée au sujet du possible coupable ?
-Non, vraiment, je n'en ai aucune idée. Ça peut aussi bien être un élève mécontent qu'un collègue jaloux.
À ce moment-là retentit la sonnerie. Il était temps pour Margaux de partir et pour Mr Bergeret d'aller donner cours. Margaux quitta le professeur, perplexe. Puisqu'elle était dans la place, elle décida d'en profiter pour demander l'emploi du temps de son principal suspect auprès de l'administration. On lui ouvrit une session, et on la laissa fouiller parmi les emplois du temps des professeurs et des élèves: on avait autre chose à faire que prêter assistance à la police en cherchant à sa place. Manque de chance, le vendredi Mr Bergeret était occupé toute la journée, de 8h à 17h. Ses seuls moments de liberté étaient les intercours, les récréations à 10h et 15h, et son heure de déjeuner de 12h à 13h. Il était impensable que le crime puisse avoir été commis pendant les intercours ou les récréations. C'était en effet l'heure d'affluence maximale dans les couloirs. Personne n'ayant remarqué de chien dans l'établissement (à part un labrador chien d'aveugle qui était toujours de ce monde), la victime avait donc dû être introduite dans le lycée et convoyée jusqu'à la salle durant les heures de cours, moments auxquels il était plus facile de détourner l'attention d'un ou deux errants que d'une foule entière que déversait les salles de classe. D'autre part, le médecin légiste (qui avait rarement eu l'occasion d'exercer sa science sur un canidé) avait estimé l'heure approximative du décès comme se situant entre 15h et 15h45, Mr Bergeret ne pouvait donc avoir pendu le chien de sa collègue pendant son heure de déjeuner, trois heures plus tôt. La jeune femme nota qu'il donnait cours de 15h à 16h le vendredi aux Terminale S1, puis fit une incursion dans le fichier élèves, à la recherche de ses clients parmi les élèves de TS1. Elle en reconnut quelques uns, inscrivit leurs noms sur son calepin, ferma la session et partit, en direction de « Chez Monstro », priant pour que les clients qui l'intéressaient viennent y déjeuner ce midi.
Les derniers soupçons quant à la culpabilité de Mr Bergeret s'effondrèrent. Tous les élèves de TS1 affirmèrent à Margaux qu'ils avaient bien eu cours d`Histoire-Géo ce vendredi-là. Leur professeur ne s'absentait que très rarement, c'est-à-dire uniquement en cas de voyage scolaire, conseil de classe ou décès de sa part. Et encore, pour la troisième option il était capable de venir tout de même faire cours, tel le fantôme professeur d'Histoire de la saga Harry Potter. Mr Bergeret se trouvait donc dans l'incapacité d’avoir commis ce meurtre. Celui-ci avait parlé de Gloria Walllnut-Crown comme ayant librement accès aux casiers du fait de son statut de fille d'enseignant. D'autre part, elle avait un mobile: elle faisait partie des élèves qui avaient été renvoyés du cours de latin par Mme Aqueduc. Étant en L, ce renvoi ne pouvait que nuire à sa scolarité. Bien qu'il semblait que ce ne soit pas son souci principal. Cependant, cette année, elle semblait un peu plus s'y intéresser. La jeune femme fit part de ses conclusions à son amant et à son colocataire. Moïse suggéra d'aller immédiatement arrêter la lycéenne, Eliott le mit en garde contre sa déformation professionnelle consistant à tout faire trop vite, violemment et sans réfléchir. S'ensuivit un débat échevelé où s'affrontaient le point de vue selon lequel seuls les policiers de série sont violents et irréfléchis, il s'agit là d'un cliché, défendu par le représentant des forces de l'Ordre; et le point de vue selon lequel un cliché se base sur quelque chose d’authentique, et de toute manière mieux vaut interroger la jeune fille avant de l'arrêter, pauvre crétin, défendu par un Eliott très remonté contre son colocataire. Finalement, l'amoureux jaloux et protecteur se porta volontaire pour aller interroger la nouvelle suspecte, pour le plus grand plaisir de Margaux. Quant à Moïse, il alla se coucher en haussant les épaules, rédigeant mentalement le mandat d'arrêt qui lui était nécessaire
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Message  Marguerite Orignal Ven 23 Avr - 20:45

Dès le lendemain matin, muni d'une photo de la fameuse Gloria Wallut-Crown, (une fois encore facebook avait rendu service à leur enquête) Eliott se dirigeait vers le lycée Marcel Ravel où étudiait la jeune suspecte. Il la trouva en compagnie de deux garçons, l'un blond, slim et veste noirs, clope au bec, l'autre immense, également vêtu de noir et avec autant de classe, des cheveux noirs et bouclés semblables à la végétation sauvage d'une jungle. De même, Gloria fumait et était vêtue avec style. Elle ne portait qu'un legging et un pull trop grand, informe et déchiré, mais cela lui allait bien. Ce vêtement dévoilait une de ses épaules, ce qui mettait en valeur sa peau satinée couleur noisette. Eliott ayant aperçu quelques-uns des clients de Margaux dans la foule lycéenne enfumée, il décida de commencer par les interroger sur celle qui l'intéressait.
-Bonjour mademoiselle ! Excusez-moi, je travaille pour le journal Métro et j'aurais voulu vous poser quelques questions.
Nox soupira. Ce crétin avait intérêt à faire vite, sinon elle allait être en retard au cours de Mr Bergeret, ce qui était quasiment suicidaire vu les remarques assassines que le prof d'Histoire ne manquait jamais de faire dans ces cas-là.
-Je prépare un article sur le...canicide qui a eu lieu il y a 2 semaines dans ce lycée. Savez-vous quelque chose à ce sujet ? Avez-vous des soupçons ?
-Si je savais quoi que ce soit, j'aurais livré le coupable à la police ou alors je le ferais chanter, déclara-t-elle avec un sourire sadique.
Eliott fut légèrement décontenancé. Le temps qu'il se reprenne, la lycéenne avait disparu. Il aborda un jeune Eurasien, entièrement vêtu de noir mais cette fois-ci à tendance Emo-gothique, au physique intrigant mais agréable. Le garçon était un collégien, ce qui ne l'empêchait pas d'avoir entendu parler du meurtre. Il renseigna Eliott sur les professeurs de manière très intéressante:
-Mme Aqueduc invoque les esprits en cours de latin ! Quand c'est Thésée parce qu'on étudie Les plaintes d'Arianne, ça peut encore aller, mais quand elle invoque Félix Gaffiot ! L'autre fois, en cours, elle s'écriait "Gaffiot! Gaffiot! Où es-tu? Gaffiot es-tu là?" Cette prof est folle ! Quant à Mr Bergeret ce n'est pas mieux! Il donne des cours de cravatophilie! Vous savez qu'il a au moins 365 cravates ? Il nous a dit en avoir une pour chaque jour de l'année! Des ours, des palmiers, des cartes de géographie! Il ya de tout sur ses cravates !
Eliott s'éloigna, un peu compatissant pour ces élèves qui en voyaient de toutes les couleurs. Il se fit aborder à son tour par un jeune homme plus petit que lui, aux cheveux et yeux très noirs. Dans ceux-ci brillait un éclat déterminé qui convainquit Eliott qu'il ne s'en débarrasserait pas si facilement.
-Signez la pétition ! Pour des bancs sur le Cours de Vincennes! Non aux attentes interminables par moins 12º au soleil quand on a une minute de retard !
-Désolé jeune homme, mais je ne suis pas du lycée, ni même du quartier...
Le militant en herbe marqua un arrêt, fixa ses yeux dans ceux d'Eliott:
-Signez quand même ! Toutes les voix sont bonnes, camarade !
Eliott obtempéra, c'était le seul moyen de s'en débarrasser. Il se dirigea ensuite vers une grande blonde baba-cool-pseudo-hippie à lunettes rouges. Celle-ci lui confirma que Gloria avait des raisons d'en vouloir à Mr Bergeret et donc de le faire passer pour le coupable en utilisant une de ses cravates comme arme du crime. Celui-ci avait intentionnellement déchiré un bout de son pull en cours, lui avait fait l'aumône de 5 centimes et la traitait de mendiante. Elle lui conseilla de s'adresser à la déléguée au sujet des relations Gloria-Mme Aqueduc. La déléguée était blonde elle aussi, haute en couleurs tant dans son habillement que, semblait-il, dans sa personnalité: elle arborait un grand sourire et paraissait pleine de joie de vivre. Eliott eut la confirmation du mobile imputé à Gloria (décidément, il n'apprenait rien, on ne faisait que lui redire ce que Margaux avait déjà découvert). Celle-ci, latiniste depuis la 5° et fille d'un professeur de latin, n'avait pas eu droit à la réinscription au cours de Mme Aqueduc en Terminale pour cause de mauvaise conduite. En effet, l'an dernier, elle avait eu une légère tendance à ne venir aux cours (pas seulement de latin) qu'une fois sur deux, et quand elle venait à passer son temps à se repoudrer le nez ou à papoter. Il ne restait plus à Eliott qu'à interroger la peut-être future inculpée et ses acolytes tant qu'à faire. Il leur servit le même bobard qu'aux autres, qu'ils gobèrent avec aussi peu de difficulté.
-Connaissez-vous bien Mme Aqueduc? L'avez-vous eu comme professeur?
-Saül et moi avons fait du latin dans son cours en 2nde et en Première. Mais nous n'avons pas eu le droit de nous réinscrire en Terminale. C'est notre professeur de Littérature cette année puisque nous sommes en L, l'informa Gloria.
-Moi je ne l'ai jamais eue. J'ai essayé d'assister à son cours une fois sur la proposition de Saül. Mais c'était tellement le bordel qu'elle a pété les plombs et elle m'a fichue dehors. Je crois que c'est une folle furieuse, intervint le plus grand des deux jeunes hommes.
Le second, le blond prénommé Saül enchaîna:
-Oui, totalement folle. Elle hurle parce qu’il y a du chahut mais si elle veut faire du spiritisme elle n'a qu'à le faire ailleurs !
-Et le prof d'Histoire ? Celui dont la cravate a servi d'arme du crime ?
Gloria s'anima soudain, ouvrant grand ses yeux soudain brillants et affichant un grand sourire:
-Lui, c'est un des rares bons profs du lycée ! Ses cours sont intéressants, ce sont les seuls où je ne m'endors pas ! Ce n'était pas une bonne idée de le faire accuser du crime, c'est vraiment un bon prof. Je l'aime bien ce serait dommage qu'il soit emprisonné pour meurtre.
Gloria paraissait sincère. Quand Eliott rentra chez lui, il était persuadé que Margaux faisait une fois encore fausse route. S'il voulait qu'elle passe à autre chose il faudrait qu'il l'aide un peu plus à démêler les fils de cette histoire. Et si Mme Aqueduc était vraiment timbrée et avait pendu son chien elle-même ?
*
Dina Carabinero se trouvait derrière une voiture, sur le trottoir entre un buraliste et un magasin de pneus. Les deux lycées avaient institué cette petite rue no man's land. Elle était en général déserte, sauf aux heures pointe, car les bus en « service partiel » y avaient leur terminus. De l'autre côté de la rue, adossé à Hélène Poissonnier une jambe repliée de manière à poser le pied contre le mur, se tenait un garçon de l'âge de Dinah. Il portait de grandes chaussures pointues noires, vernies, un slim noir qui avait connu des jours meilleurs mais mettait en valeur ses jambes fines, une chemise blanche dont 2 ou 3 boutons au col étaient ouverts révélant un torse glabre et peu musclé pour ne pas dire pas du tout, et une veste de cuir noir façon « motard » dans les poches de laquelle il avait enfoui ses poings. « La classe » se dit Dinah. Ses yeux bleus étaient cachés derrière de grandes lunettes de soleil à la mode qui mangeaient presque tout son long et pâle visage aux traits fins. Des boucles blondes retombaient sur son front et ses oreilles dans un faux négligé en réalité méticuleusement étudié et maîtrisé. Il était plutôt sexy. « Quel dommage... » semblait dire le sourire parfait de Dinah. Elle fit claquer ses talons aiguilles contre l'asphalte, remit à sa place une mèche rousse et traversa la rue. Un petit groupe de garçons et de filles la suivirent, comme sortis de nulle part.
*
Lorsque Margaux rentra chez elle, comme tous les soirs elle avait mal aux jambes et aux bras d'avoir couru dans toute la salle pour prendre les commandes, rattraper au vol des objets en déséquilibre, servir les plats, débarrasser, nettoyer, faire payer...Mais contrairement à d'habitude, Eliott l'attendait avec des nouvelles fraîches au sujet de sa pseudo-enquête. Il ressortit de leur conversation vespérale qu'Eliott irait dès le lendemain se faire engager comme pion.
*
-Je vous assure que je n'y ai même pas pensé. Jamais ! Je...
Les coups se mirent soudain à pleuvoir sur le visage de Saül. Son arcade sourcilière céda en premier. Le plus étrange était peut-être que tout cela se passait dans le plus complet silence. Un coup à la tête l'envoya au sol. Cette rue derrière le lycée était déserte. On était sûr d'y être tranquille. Du sang gouttait de sa mâchoire. Il aurait dû se douter de quelque chose quand ils lui avaient demandé de le suivre. Bientôt ce ne fut plus seulement à son visage mais à son corps entier que s'attaquèrent la petite bande de garçons et de filles. Sa chemise et sa peau se déchirèrent, victimes du talon-aiguille de quelqu'un. C'était injuste, on lui avait proposé un prix, il avait payé. Une décharge électrique partit de son coude, puis son bras s'engourdit jusqu'au bout des doigts. Jamais il n'aurait pensé à les dénoncer, il était complice maintenant, non ? Ses doigts se brisèrent dans un craquement, ce fut comme une explosion électrique qui résonna dans toute sa main. Il poussa un gémissement de douleur. C'était le premier son depuis...quoi ? Dix minutes? Cinq secondes ? Il n'avait même pas pu leur dire que ce n'était pas à lui en particulier qu'était venu parler ce foutu journaleux! Un coup dans le ventre lui coupa le souffle, il se mit à voir des petits points noirs danser devant ses yeux. Allait-il s'évanouir ? Une image lui revint en mémoire, c'était une des affiches sur le pilier de l'entrée du lycée. Elle portait la mention « racket violences? Vous êtes témoin ou victime, appelez-le .... ». Chaque partie de son corps irradiait de douleur et chaque nouveau coup provoquait une sorte de décharge électrique qui lui faisait momentanément oublier les autres douleurs, avant de s'ajouter aux autres. Tout cela se passait très vite, mais il en ressentait chaque milliseconde comme si elle avait duré une existence.
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Message  Marguerite Orignal Ven 23 Avr - 20:48

Partie 2: en captivité
Les semaines passèrent, Eliott découvrit la paranoïa commune des adultes et des élèves, le gigantisme de l'établissement, les méandres du règlement, les portes infranchissables à une minute près, les billets d'absence à valider et leurs excuses plus ou moins vraisemblables ou trop évidentes pour être vraies, les billets de retard qui n'existaient pas mais que les profs s'évertuaient à réclamer. Tout cela lui rappelait ses propres années lycée, mais il y avait quelque chose de différent. Une sorte d'ambiance nauséabonde, malsaine, étouffante. Une atmosphère de suspicion, un climat de crise. On avait l'impression que tout pouvait éclater d'un moment à l'autre. Même si on ne savait pas exactement quelle était la nature de ce qui pouvait éclater. Les blocus s'enchaînaient, les proviseurs intervenaient dans les classes en se voulant répréhensifs mais en ne parvenant qu'à attiser la colère lycéenne, certains des « meneurs » étaient menacés d'expulsion, des batailles juridico-médiatiques étaient lancées.
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Message  Marguerite Orignal Mer 28 Avr - 20:48

Ce jour-là était a priori un jour comme les autres. Eliott partit de chez lui vers 7h15, descendit la rue puis prit à droite, toujours en descendant. Il s'arrêta sous l'abribus de la station Villiers de l'Isle-Adam. Le temps de sortir de quoi payer et le bus était arrivé. Ce jour-là, les embouteillages ne furent pas pires que d'habitude aussi parvint-il à la station Cours de Vincennes au bout d'une demi-heure. Les étudiants, profs, pions, et usagers pressés de la RATP se ruèrent sur le passage piéton dès leur sortie du bus. Le sémaphore était au rouge mais peu importait, ils avaient l'avantage du nombre. Devant Hélène Poissonnier la foule devenait peu à peu dense, enfumée, variée au fil des arrivées de bus, métros, et RER. Idem devant Marcel Ravel. Au café, certains professeurs et membres de l'administration prenaient un verre ou fumaient une cigarette en discutant de ce qui s'était passé entre la veille au soir 18h, heure à laquelle ils s'étaient quittés et 7h45 heure actuelle. Les sujets étaient donc aussi variés que la varicelle du petit, la dernière réforme d'Obama, l'élimination de miss Casserole-J'racole à la Star Ac' ou le coup de fil euphorique de la prof d'SVT récemment promue en Suisse avec tous ces élèves si sages, eux. Eliott ne s'attarda pas, et rentra dans le lycée. Il alla pointer, poser son manteau, et prendre les directives du jour. Le premier fait étrange était la quantité astronomique de professeurs absents. Le second fait étrange était l'apparition à 8h30 des cars de police. Les représentants des forces de l'Ordre se répartirent devant les grilles du lycée, côté rue. La CPE avertit les pions qu'il était toujours possible d'entrer dans le lycée, mais plus d'en sortir. Et ce, sans aucune explication. Au début, les lycéens ne faisaient qu'entrer calmement en jetant des regards suspicieux aux gendarmes et sans noter le fait que seuls des collégiens sortaient. Vers midi, certains commencèrent à se rebeller exigeant des explications, invoquant leurs libertés. À son grand soulagement, Eliott ne se trouvait alors pas de service près des grilles mais dans la cour, il n'avait ainsi pas à appliquer une mesure qui lui semblait injuste. Cela dégénéra lorsqu'un policier prit au collet un lycéen protestant trop fort à son goût et commença à le secouer comme un sac de patates. Lequel lycéen répondit par un coup de pied dans la cuisse de son agresseur, puis un coup de poing à l'épaule et ainsi de suite, car bien sûr le représentant des forces de l'Ordre ne put s'empêcher de riposter, et ses collègues de défendre son honneur en s'en prenant à leur tour aux jeunes gens. D'autres encore se joignirent à la bataille générale qui se termina par la fuite des gendarmes et la fermeture des grilles du lycée. Certains lycéens étaient parvenus à s'échapper...L'après-midi peu de lycéens se rendirent à leurs cours trop surpris de la tournure que prenaient les événements. Ceux qui s'y rendirent ainsi que ceux qui assaillirent les bureaux des proviseurs et CPE apprirent qu'on les mettait en quarantaine, tous autant qu'ils étaient pour cause de « grippe lycéenne ». Les premières heures suivant l'annonce de la nouvelle furent houleuses. La tension des dernières semaines semblait se répandre par vagues sur le lycée comme les flots d'un égout trop longtemps bouché. C'était le chaos, l'apocalypse, les adultes responsables restés au lycée (les autres avaient été prévenus ou avaient été jugés non contaminés par un rapide examen policier) ne savaient plus où donner de la tête, que faire, comment réguler la folie ambiante, ils étaient complètement dépassés. Des élèves se jetaient sur les grilles et les murs du lycée espérant pouvoir les escalader. Ces derniers persévéraient malgré le cordon de police réparti de l'autre côté d'une « zone de sécurité »elle-même définie par un charmant ruban de plastique rouge et blanc orné d'un original « zone de quarantaine/ne pas franchir ». La « zone de sécurité » abritait des molosses-flics attachés aux grilles et grondant dès que l'on s'avisait d'approcher les limites du lycée. Autant dire qu'ils aboyaient à qui mieux mieux depuis le début de l'entreprise d'escalade. Celle-ci prit brusquement fin lorsqu'un lycéen plus agile que les autres passa la barrière des molosses au prix de morsures profondes aux jambes et fut abattu sans sommation avant même d'avoir franchi le ruban plastifié. Le coup de feu fut suivi d'un brusque silence et de la cessation de toute bousculade aux abords immédiats des grilles. Un poulet un peu plus galonné que les autres s'avança alors. Selon lui, cet adolescent désireux de liberté était jugé porteur potentiel de la maladie et donc dangereux. C'était pourquoi on l'avait abattu. Et il en serait ainsi de tout malade tentant de s'échapper, « malade » signifiant « lycéen ». L'intérieur du lycée était un peu plus calme, hormis les rares vandales jetant les meubles par les fenêtres ou les portes et détruisant les ordinateurs et écrans de chaque classe. Il y avait davantage de petits groupes qui tentaient de mettre leurs informations en commun dans l'espoir de comprendre ce qui se passait, d'autres qui mettaient en commun leurs portables afin d'appeler parents, amis ou toute autre personne estimée capable de les sortir de là. Si Eliott avait été moins submergé par la soudaine nécessité de calmer des hystériques hurlant ou larmoyant, il aurait peut-être remarqué deux groupes distincts des autres, l'un au 4°, l'autre au 2°. Ceux-là semblaient vouloir tirer profit de la situation, ils discutaient avec des mines de conspirateurs. Lorsque la nouvelle de la mort de leur camarade parvint aux oreilles des lycéens restés à l'intérieur, un de ces petits groupes descendit. En tête, le petit jeune homme aux yeux noirs, brillant d'une flamme militante, celui-là même qui faisait signer quelques semaines auparavant une pétition visant à installer des bancs sur le cours de Vincennes. Derrière lui une fille rousse à l'air décidé et quelque peu arrogant et un garçon au physique d'asperge et à l'air passablement fatigué. Ils se rendirent dans la cour, où ils entassèrent des tables ayant récemment fait leur baptême de l'air. L'asperge sortit un mégaphone d'un casier qu'il s'était procuré par on ne savait quel miracle, puisque seuls les collégiens étaient autorisés à en avoir (des casiers pas des mégaphones). Le militant en herbe se hissa sur le tas précairement érigé et se saisit du mégaphone. Ses acolytes se placèrent de part et d'autre de son estrade improvisée.
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Message  Marguerite Orignal Mer 28 Avr - 20:49

-Camarades !
Les groupes provenant des grilles prêts à se disperser s'arrêtèrent, des fenêtres s'ouvrirent, des petits groupes y apparurent, certains sortirent des bâtiments.
-Camarades ! On nous enferme sous prétexte que nous sommes malades, mais notre maladie c'est la jeunesse! Notre maladie c'est la soif de liberté, notre maladie c'est le désir de liberté, l'espoir d'un monde meilleur !
La foule se faisait plus dense dans la cour, de plus en plus de fenêtres s'ouvraient sur des groupes de plus en plus nombreux.
-Camarades! Montrons-leur que nous ne sommes pas malades mais vivants et bien décidés à le rester! Montrons-leur que nous ne sommes pas malades mais jeunes et décidés à en profiter !
Il y eut des cris et des applaudissements. Impérial, il leva une main, il n'avait pas terminé, le brouhaha cessa.
-Camarades! Saisissons la chance qui nous est offerte! Construisons ici et maintenant un monde régi par nos lois, non par les leurs! Un monde meilleur sans inégalités, sans injustices! Un monde où l'on n'enferme pas ceux qui sont différents! Camarades, construisons ce monde ensemble!
Les applaudissements reprirent, le dénommé Fabrice (s'il fallait en croire les cris d'encouragement des autres lycéens, c'était son nom) échangea estrade et mégaphone avec son ami l'asperge. Les cris changèrent celui-ci s'appelait Loup.
-Hum, alors, euh, on a pensé qu'on pourrait...
Celui semblait moins posséder la verve révolutionnaire de son camarade, mais il était écouté avec tout autant d'attention.
-Voilà puisqu'on n'a pas d'autre choix il va falloir vivre en communauté. On va faire ça démocratiquement, pour que chacun puisse s'exprimer. On va aller à l'administration chercher une urne et on la placera dans la loge comme ça...
Il fut coupé par le cri de « On n'a pas accès à la loge! » preuve que la foule suivait.
-En fait, si, tous les flics sont sortis, ils ont bloqué les portes et saboté le système qui permettait jusque-là d'ouvrir les portes depuis la loge. Donc on va installer l'urne là-bas, on va préparer les listes pour s'assurer que tout le monde vote une fois, et vous pourrez donner vos idées d'organisation à partir de ...
Il s'arrêta à nouveau cette fois pour avoir un bref conciliabule avec sa camarade rousse.
-À partir de demain matin et vous aurez 3 jours, c'est-à-dire jusqu'à jeudi. En attendant, on dormira où on pourra et nous nous occuperons du ravitaillement par rapport à ce qui restera dans la cantine.
Eliott chercha des yeux la CPE, mais celle-ci avait mis les voiles depuis longtemps. Autour de lui, les pions et profs avec qui il était descendu donnaient leurs avis sur ces soudaines décisions. Cela semblait tellement simple et évident de commencer ainsi, pourquoi n'y avait-il pas pensé ? Avant que la foule ne se disperse, Eliott tint à s'exprimer au nom de tous les pions, profs, membres de l'administration et du personnel encore présents sur les lieux. Il s'élança vers l'estrade et parvint à obtenir le mégaphone non sans peine.
-Lycéennes, lycéens! Nous ne sommes qu'une vingtaine ici à avoir fini nos études et à être en théorie responsables de vous. Il semblerait que la très grande majorité de nos collègues ait été prévenue de ce qui allait se passer aujourd'hui, ce qui expliquerait leur absence. En tout cas, si nous n'avons pas été prévenus mais enfermés avec vous, c'est que nous sommes considérés comme aussi dangereux que vous. Tout ça pour dire que nous voterons aussi, et que nous sommes là pour gérer et organiser certaines choses si vous les souhaitez.
Étrangement, Eliott fut applaudi, et pas seulement par ses collègues.
Peu à peu, les adultes parvinrent à se réunir et décidèrent de s'installer à l'infirmerie. Certains d'entre eux craignaient un abus de paracétamol de la part de tous ces jeunes gens.
*
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Message  Marguerite Orignal Mer 28 Avr - 20:50

Les 3 jours qui suivirent furent tout aussi chaotiques, bien que moins riches en événements et moins violents. Il y eut certes des affrontements verbaux ou physiques au sujet de l'occupation des classes, de la répartition et de la qualité de la nourriture mais il n'y eut plus de morts. Le jeudi, on apprit qu'il avait été largement voté que la gérance de la nourriture revenait aux adultes. Peut-être la démonstration de leur expérience avait-elle prouvé qu'ils étaient aptes à remplir ces fonctions. On leur laissait l'infirmerie et la salle des profs comme quartiers généraux. On leur accordait un droit de conseil pour les décisions importantes. Il leur revenait également de veiller à la sécurité des utilisateurs des gymnases lesquels avaient été déclarés biens communs et dont on leur avait confié les clés. Il leur était interdit d'en refuser l'accès de 6h du matin à minuit. Fabrice, Loup, leur camarade rousse dont le prénom restait un mystère, et bon nombre de leurs amis avaient élu domicile dans le bâtiment de l'administration. Un autre groupe tout aussi important, mené d'une main de fer par une certaine Sylvie avait pris ses quartiers dans le CDI et la salle des ordinateurs qui y faisait face. Les autres lycéens s'étaient répartis en groupes moins importants dans les salles de classe et aux étages qui leur avaient été attribués selon leur nombre et leurs affinités les uns avec les autres. C'était la clique menée par Fabrice, Loup et La Rousse (comme les adultes l'appelaient entre eux, aucun n'ayant été capable de se souvenir de son patronyme) qui avait décidé de cette répartition. Ils étaient d'ailleurs appelés pour une raison mystérieuse Les Carabineros.
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Message  Marguerite Orignal Mer 28 Avr - 20:51

-On va tous mouriiiiir !!!
-Eh bien, oui, je ne vais pas te mentir, on va tous mourir un jour. Ils ne t'ont pas expliqué ça tes parents ? Seulement, pas de quoi en faire tout un plat, ça ne va pas arriver tout de suite. En tout cas, pas pour nous. Et certainement pas à cause de cette grippe, c'est clair ? D'ailleurs, elle n'existe même pas cette grippe, c'est une invention du gouvernement, des médias, des laboratoires, de qui tu veux mais certainement pas de Dame Nature! Une grippe lycéenne! Et puis quoi encore ? Enfin, quoi, merde, tu vas au lycée, non ? Évidemment, puisque tu es ici, c'est que tu vas au lycée... Franchement, ils ont l'air malade, les gens autour de toi? D'accord, ils ont les symptômes décrits par la presse, mais depuis quand avoir des courbatures aux mains après avoir recopié une dissert ' de 5 pages est un symptôme de maladie? Et aller à une manif ' c'est un symptôme aussi ? Et tu sais quoi ? Être fatigué c'est normal à l'adolescence depuis qu'il y a des humains, c'est comme ça ! Alors tu te calmes maintenant, ok ? Personne n'est mortellement malade, et personne ne va mourir dans l'immédiat !!
Eliott pétait les plombs. Il y avait des jours où il lui fallait expliquer 15 fois à des élèves hystériques qu'ils étaient enfermés pour des prunes. Ou, en tout cas, pour endiguer une maladie qui n'existait pas. Il y avait aussi des jours plus calmes, des périodes de creux où tous semblaient résignés, amorphes, comme si perdre leur liberté physique les transformaient en larves. La fille en face de lui hoquetait, prostrée, dos au mur, les paroles d'Eliott ne semblaient pas l'avoir calmée...Pas étonnant...
Fabrice se leva alors. Il dirigeait quasiment le lycée depuis le début de la quarantaine. Certes, il y avait des élections, des référendums, des débats, des discussions avec Loup et Dinah, la jeune fille rousse, mais il semblait être à l'origine de toute initiative. Du moins, en public, c'était toujours de sa bouche que sortaient les idées... Au fil des jours, Eliott avait appris que les deux garçons étaient délégués au conseil d'administration. Ça ne voulait pas dire grand chose, aujourd'hui, alors que la majorité des secrétaires, CPE, proviseurs adjoints, et autres membres de l'administration avaient mystérieusement fui le navire peu avant la quarantaine. Et Dinah dans tout ça ? Quel était son rôle, à elle, avant la quarantaine? Rien. Elle n'était même pas déléguée de sa classe. Elle était là, tapie dans l'ombre, jouant un rôle mystérieux, exerçant son influence sans qu'on sache vraiment dans quelle mesure et comment. Fabrice, donc, s'était levé suite à la diatribe d'Eliott à bout de nerfs.
-Camarades!
C'était une manie chez lui, il ne pouvait s'empêcher de s'adresser aux gens sans dire « camarades »...
-Camarades! Écoutez la voix de la raison! Gardez à l'esprit que nous ne sommes pas malades, contrairement à ce qu'on veut nous faire croire ! Si quelqu'un meurt ce sera électrocuté par les barbelés installés en haut des grilles! Ce sera par manque de solidarité envers ses camarades!
À ces mots, la fille à quelques tables de là avec qui il échangeait des regards complices, cessa soudainement de sourire et fronça les sourcils. La punk café-au-lait assise près de Fabrice, le tira par la manche
-Arrête, tu vas trop loin...
Il se rassit. Eliott reporta son regard sur la fille toujours accroupie près du mur. Maintenant, elle reniflait et sanglotait moins. Mais elle hoquetait toujours, entre deux soupirs saccadés. Eliott haussa les épaules. Après un rapide coup d'œil circulaire à la cantine approvisionnée grâce aux caisses livrées quotidiennement par hélicoptère, il se décida à emmener la pauvre chose à la salle où elle dormait. Là, elle finit par se calmer, à grands renforts de sanglots et de reniflements. Ça faisait à présent deux semaines qu'ils étaient enfermés, il fallait encore attendre trois semaines et 5 jours. Ils avaient tous un peu le moral dans les chaussettes, non seulement à cause de la claustration mais aussi à cause des meurtres. Celui du chien de Mme Aqueduc n'était toujours pas résolu, la police ne pouvait plus enquêter, tout le monde étant enfermé dans le lycée. Il régnait une ambiance malsaine, chacun suspectant l'autre d'avoir tué le chien de cette prof qui se donnait tant de mal pour ses élèves, au point d'avoir été enfermée avec eux. De plus, deux autres meurtres avaient été commis depuis...
**


Dernière édition par Marguerite Orignal le Mer 28 Avr - 20:57, édité 1 fois
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Message  Marguerite Orignal Mer 28 Avr - 20:53

Quelques jours après le début de la quarantaine, on avait appris la mort de Saül Rooster. Celui-ci avait été retrouvé par une petite mémé en goguette dans une des ruelles près du lycée. Elle avait immédiatement appelé une ambulance mais, suite à son passage à tabac, son état était critique. Il était resté dans le coma plusieurs semaines. La nouvelle de sa mort avait été comme un séisme. Elle s'était répandue dans le lycée comme une onde de choc, dont l'épicentre était Gloria Wallnut-Crown qui avait reçu la nouvelle en premier. Ç'avait été d'abord un cri puis des sanglots. Les personnes autour d'elle en avaient fait autant, quelques secondes après, comme une vague. La même chose s'était produite à d'autres endroits du lycée au fur et à mesure que la nouvelle s'étendait. Saül avait été peu assidu, agaçant ces professeurs, pas toujours apprécié de ses camarades, mais le tragique de sa mort saisit tout le monde. Mourir à 17 ans...pour tous cela paraissait injuste. Cruel, absurde, et injuste. Injuste parce-que Saül avait été privé de vie, empêché de vivre. À 17 ans à peine, il avait tout juste eu le temps de commencer à se construire. Tout juste le temps de jouer à se détruire; Tout juste le temps de s'apercevoir de ses erreurs. Tout juste le temps de commencer à se reprendre. Il avait été stoppé en plein élan, le fil de sa vie coupé net. C'était absurde aussi, parce-que ce n'était pas le genre de personne dont on rêve de pulvériser le visage. Mais y-a-t'il des gens qui méritent de mourir? C'était cruel aussi parce qu’il fallait sacrément haïr quelqu'un pour faire couler son sang, déchirer sa peau, briser ses os jusqu'à ce qu'il en meure et le laisser là, agonisant sur le trottoir, seul. Le lendemain, les professeurs de philosophie qui étaient restés, avaient organisé des débats sur ces deux questions: Y-a-t'il des gens qui méritent de mourir ? Jusqu'à quel point peut-on haïr quelqu'un? Une autre était survenue dans la foulée: Qu'y-a-t'il après la mort? Ou plutôt, que peut-on encore faire après avoir perdu un être cher ? La réponse s'était imposée petit à petit: il fallait continuer à vivre. Pour soi et pour cette personne morte. C'était injuste que cette personne ait été empêchée de vivre? Alors il ne fallait pas se priver de la vie. À la journée « l'un des nôtres est mort, il ne nous reste plus qu'à faire les fromages blancs » avait succédé une intense activité. Une discussion philosophique n'ayant jamais de fin puisqu'elle entraîne d'autres questions, les débats avaient été reconduits. Toute sortie étant impossible, quelques lycéens avaient organisé une sorte de commémoration. Ça s'était plutôt transformé en une soirée « feu de camp » (sans feu, mais l'esprit y était), ce qui était plus proche du caractère de Saül qu'une cérémonie à l'église. Les concernés s'étaient réunis dans la cour, sous la surveillance de quelques professeurs et surveillants, armés de bouteilles d'eau et de quoi faire un peu de musique. On avait commencé par mettre le peu de CDs que possédait le lycée sur la chaîne de la salle de musique du rez-de-chaussée. Puis une sorte de concert avait été improvisé. Il y avait un piano dans cette salle de musique et, pour une fois, seuls ceux qui savaient en jouer s'en étaient approchés. Des cartons, des tables et des chaises avaient servi d'instruments de percussion. Un harmonica, un ukulélé, un violon et une guitare avaient surgi on ne savait d'où. Des bouteilles d'eau vides étaient devenues des instruments à vent. Quelques peignes, accompagnés du papier adéquat, étaient venus en renfort.
Ce concert aussi avait été reconduit. C'était devenu une sorte de tradition. Un moyen d'exprimer leur rage ou leur mélancolie.
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Message  Marguerite Orignal Mer 28 Avr - 20:58

Après la mort de Saül, il y avait eu celle de Lex.
Celui-ci avait toujours eu un penchant pour la médisance et la manipulation. L'enfermement avait aggravé et entièrement révélé ledit penchant. Il s'était trouvée une complice en la personne de Barbara dite Barbie. Sa blondeur et ses manières excessivement fille étaient pour beaucoup dans le choix de ce surnom. Ensemble, ils avaient récolté les moindres faits et gestes de leurs camarades, y avaient collé des intentions, raccroché des anecdotes plus ou moins réelles, avaient monté le tout en épingle avant de colporter ces rumeurs toutes neuves. Cela n'avait guère contribué à apaiser l'atmosphère déjà chargée. Des couples et des amitiés s'étaient défaits par leurs soins, des querelles et de nouvelles inimités étaient nées, la vie en communauté devenant progressivement insupportable. Les querelles particulières s'étaient muées en une haine féroce, rapidement dirigée vers Lex et Barbie. Ceux-ci rejetés par tous avaient dû s'exiler dans une des salles encore inoccupées, la salle orange du troisième étage. Un jour, ou plutôt un matin, à l'heure du petit-déjeuner, les premiers arrivés avaient eu une mauvaise surprise. À la porte de la cantine à l'extérieur pendait un homard. À l'intérieur, contre l'évier à droite de la porte, Lex. La tête plongée dans l'évier, lequel avait été bouché au moyen d'une assiette, les mains au-dessus de la tête, liées au robinet. Il avait été noyé. Sur son dos, un papier couvert de ces mots: "Le petit chien de Mr Bergeret ne regardait jamais le bleu du ciel incomestible". Cette citation ne semblait n'avoir que peu de rapport avec le meurtre. Seul le nom propre semblait donner un indice, accusant à nouveau Mr Bergeret. Mais il aurait été stupide que celui-ci s'accuse lui-même. Etait-ce une habile manœuvre visant à détourner les soupçons de sa personne en le désignant clairement ? Ou plus simplement un désir de lui nuire? On ne pouvait le savoir qu'en interrogeant le meurtrier et celui-ci pouvait être n'importe qui. Alors que pour Saül ce ne pouvait vraisemblablement être personne, ce pouvait être pour Lex absolument tout le monde. Une sorte de gêne avait envahi le lycée. On ne savait plus vraiment si on regrettait ou non la mort de Lex. On ne savait plus non plus si on espérait celle de Barbie ou non. Certains, tentant d'avoir bonne conscience, avaient accusé Lex d'être à l'origine de tout, exemptant ainsi Barbie. Ceux-ci préféraient haïr un défunt qu'espérer la mort de quelqu'un. D'autres avaient la position inverse, et avaient donc accusé Barbie plutôt que Lex.
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Message  Marguerite Orignal Mer 28 Avr - 21:00

Puis un autre événement était survenu un soir où Eliott faisait partie de l’équipe de nettoyage de la cantine constituée d’adultes et d’élèves relayés tous les jours. Il redoutait un peu ce moment où l'équipe de nettoyage était réunie au grand complet dans le réfectoire. Trop peu d’adultes assuraient la sécurité au-dehors de la cantine, c'était l'heure où on faisait entièrement confiance aux lycéens pour ainsi dire livrés à eux-mêmes. Il pouvait se passer n'importe quoi. La séance de nettoyage s'était achevée comme tous les soirs. Aucun bâtiment n'avait explosé, aucun coup de feu n'avait retenti, la cour n'était pas inondée. La soirée s’était terminée dans le calme. Cependant, Eliott était resté angoissé, contrairement à son habitude. Et ce même après que tous les lycéens soient couchés. C’était son tour de faire des rondes dans les couloirs. Il aimait cette ambiance enfin apaisée, les couloirs sombres, à peine éclairés par sa lampe-torche et les réverbères dont la lumière filtrait à travers les vitres de la cage d’escalier. Mais pas ce soir. Il y avait quelque part encore une tension. Le nuage électrique et orageux des bandes dessinées s’était à nouveau formé au-dessus du lycée. En montant l’escalier du second au troisième étage, il avait eu l’impression que l’électricité montait d’un cran, comme s’il se rapprochait du centre du nuage. Il s’était gourmandé. À force de vivre avec Margaux il croyait à ses histoires de sixième sens. Margaux… Comme elle lui manquait ! Ça faisait vraiment trop longtemps qu’il ne l’avait pas vue. Bon, il y avait le téléphone, les mails et même msn, mais ce n’était pas la même chose que de lui parler en vrai. Voir chacune des expressions de son visage, de ses mains, sentir son odeur, sa présence près de lui. L’entendre et la voir rire, goûter ses sourires. Écouter ses yeux et regarder sa voix. Pouvoir effleurer son parfum et humer sa peau, frôler son corps et serrer ses cheveux… Lui sourire et peut-être se pencher jusqu’à…
Quelqu’un.
Le faisceau de sa lampe-torche avait révélé quelqu’un, au milieu du couloir, vers les salles du fond. Il s’était approché doucement, sans savoir pourquoi il n’osait pas parler. La personne se trouvait devant la salle orange. C’était un garçon. Le fantôme de Lex ? Bon, il faudrait qu’il dise à Margaux d’arrêter avec ses histoires de paranormal, elle le contaminait complètement. Le garçon ne bougeait pas, le regardait fixement. Non, il regardait dans le vide, fixement, perdu dans ses pensées.
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Message  Marguerite Orignal Mer 28 Avr - 21:02

*
Un cri étouffé. Une main comme une caresse. Doigts dans les cheveux. Sourire inquiétant. Joker ? Obscurité. Lumière de la rue. Ombres. Caresse ? Coup. Cri étouffé. Bâillon. Sourire sadique. Horreur.
*
-Hey, ça va ?
*
Revenir. Revenir. Paroles. Ils sont encore là ? Regard. La salle à côté. Peur.
*
-Du sang. Du sang, partout. Trop de sang.
-Quoi ? Qu’est-ce que tu dis ?
Eliott avait jeté un œil à la salle orange. Dans le fond il y avait un bureau et deux tables. Ces meubles avaient été écartés comme pour livrer un passage jusqu’au dessous du bureau. Et au milieu de la salle, une table. Et du sang. La table était constellée de sang. Il y en avait même un peu par terre. Eliott avait reporté son attention sur le jeune homme près de lui, qui regardait toujours dans le vide, dans ses pensées.
-Qu’est-ce qui s’est passé ?
Le garçon avait ouvert la bouche, ses yeux s’étaient agrandis d’horreur, il avait secoué la tête. Ce type n’était pas blessé, en tout cas, le sang dans cette pièce n’était pas le sien. Par contre, dans sa tête, il avait l’air sacrément amoché. Qu’est-ce qu’il avait bien pu voir ? Il avait dû s’être caché sous le bureau puis en sortir en poussant les tables. Qu’est-ce qui s’était passé bon sang ?
Eliott ferma la salle à clé et emmena le garçon à l’infirmerie. Il lui aurait fallu un calmant et un somnifère, il devrait se contenter d’un des lits de l’infirmerie et d’un peu d’eau.
*
Blondeur ensanglantée. Coups répétés. Genoux brisés. Foule. Questions. Amer, aigri, sadique. Peur. Terreur. Ombre. Sombre. Silence ! Heurts sans cris. Talons qui frappent. Talons souillés de sang. Éclate. Jaillit. Coule. Suinte. Sang.
*
-Ooh ! Et bien qu’est-ce qui vous arrive ?
-Je vais vous expliquer Madame Aqueduc, dès que je l’aurais emmené se coucher à l’infirmerie.
-Oui vous avez raison. Allez vite vous étendre jeune homme !
-Moins fort Madame Aqueduc, vous allez réveiller tout le monde !
Eliott avait emmené le garçon se coucher, lui avait donné un peu d’eau, et expliqué où le retrouver en cas de problème. Il était ensuite revenu vers la dynamique professeur de lettres classiques et ses chuchotis peu discrets, afin de lui expliquer de quoi il retournait.
Le lendemain, Eliott et un autre surveillant s’étaient rendus à la salle orange. Les rideaux n’avaient pas été tirés la veille au soir, aussi la lumière de soleil baignait-elle la pièce, faisant miroiter le sang. Ce n’était qu’à ce moment qu’il avait aperçu la paire de ciseaux. Posée sur la table, entièrement recouverte de sang. Son collègue s’était détourné, légèrement verdâtre. Eliott s’était avancé, veillant à ne rien toucher, au cas où il pourrait y avoir une enquête policière. Par terre près de la table, de longues mèches de cheveux. Beaucoup étaient souillés de sang mais on pouvait encore voir leur couleur. Il s’agissait de cheveux blonds, ceux de Barbie ? Eliott avait alors décidé d’organiser des recherches dans le lycée, à ce qu’on en savait Barbie était peut-être mourant ou morte. Dans le premier cas, on pouvait espérer la sauver, dans le second limiter la puanteur cadavérique. Il avait ensuite rejoint son collègue, toujours aussi verdâtre. Qui avait bien pu être assez sadique et cruel pour faire couler le sang à ce point ? La quarantaine avait libéré un monstre…
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Message  Marguerite Orignal Mer 28 Avr - 21:03

Les recherches n’avaient rien donné. Eliott, Fabrice et Sylvie s’étaient réunis dans le bureau du proviseur afin d’alerter les Condés. Chacun y était allé de sa supplique mais rien n’y avait fait. La quarantaine devait être respectée, il était hors de question d’envoyer des policiers au lycée. Il ne pouvait donc y avoir enquête. Peu importait qu’il y ait un monstre assoiffé de sang en liberté dans l’établissement enfermé au milieu de centaines de victimes potentielles. Peu importait que la cruauté barbare dont avait été victimes Saül et Barbie semblait émaner de la même personne, et que par conséquent résoudre la seconde affaire permettrait de résoudre la première. Il fallait respecter la quarantaine bien que la maladie n’existât pas. Les cinq suppliants avaient quitté le bureau désespérés et très agacés. Alors qu’on aurait pensé que le calme reviendrait après sa disparition, une atmosphère de suspicion avait subsisté. Qui la cachait ? Qui l’avait fait disparaître ? Que lui avait-on fait ? Était-ce bien elle qui avait été torturée ? Qui était son tortionnaire ? Avait-elle réussi à sortir de l’établissement ? Si oui comment ? Avec quelle aide ? On n’avait retrouvé Barbie que quelques jours plus tard, après l’apparition d’un nouveau homard, cette fois-ci sur une table du self. On avait fouillé le monte-charge et les placards sans rien trouver. Pourtant, il était certain que ce homard indiquait la présence d’un cadavre, comme la première fois. Ne trouvant rien, il avait bien fallu faire manger les lycéens. On leur avait ouvert la cantine, après avoir fait disparaître le homard. Ç’avait été lors du deuxième service que quelqu’un avait levé les yeux et remarqué que des sortes de fils dépassaient d’un coin cassé du plafond. On avait fait déplacer ceux qui occupaient la table sous ledit carreau puis on l’avait ôté. D’autres fils étaient apparus. Pas des fils, des cheveux. Et avec ces cheveux, une tête, un corps. Celui de Barbie. Une clameur avait envahi le self, beaucoup n’avaient pu s’empêcher de crier d’autres étaient restés muets et figés sur leurs chaises. Il n’était pas très commun que l’on sorte un cadavre du plafond de la cantine… ou de tout autre plafond. De plus le cadavre était des plus repoussants. Le peu de cheveux qui lui restaient était emmêlé et poisseux de sang, tout comme ses vêtements froissés. Sa peau avait été affreusement déchirée, découpée, percée. Cela expliquait la quantité de sang répandue dans la salle… Elle avait dû mourir en se vidant de son sang, ou alors de douleur sous la torture. Elle portait encore le bâillon, un de ces masques chirurgicaux distribués pour protéger de la grippe, qui avait étouffé ces cris. Qu’avait-on cherché à lui faire dire ? Ou peut-être avait-on voulu la punir ? C’était déjà plus probable. Encore une fois, seul le meurtrier avait la réponse. À ce qu’on savait ça pouvait aussi bien être une conspiration qu’un cas isolé. Si seulement on pouvait relever les empreintes sur les ciseaux ensanglantés de la salle orange… Mais non, ce n’était pas possible puisqu’il ne pouvait y avoir d’enquête.
*
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Message  Marguerite Orignal Lun 10 Mai - 20:14

*
Une fois la fille hystérique raccompagnée, Eliott redescendit dans la cour. La nuit tombait, certains élèves regagnaient les salles, d'autres, éparpillés dans la cour, fumaient ou téléphonaient. D'autres encore se regroupaient dans les QG des deux groupes antagonistes. Le CDI était soudainement devenu plus populaire depuis le début de la quarantaine. Certes, c'était au départ majoritairement pour les téléphones et les ordinateurs mais, peu à peu, les livres avaient retrouvés de leur intérêt. En effet, il était impossible de sortir, et la quinzaine d'ordinateurs ne suffisait pas à la centaine de personnes coincés dans le lycée, il fallait s'occuper autrement. Certains suivaient des cours et travaillaient encore, mais personne ne peut travailler indéfiniment. D'autres faisaient du sport, élaboraient des plans pour sortir, organisaient des concerts avec quelques cartons et un ukulélé. Cependant, les livres avaient tous été sortis des réserves, le contenu du CDI ne suffisant plus.
Ce soir-là, Eliott allait y emprunter quelque chose qui lui viderait l'esprit, l'emmènerait ailleurs, loin de la quarantaine, des crises d'hystérie, des émeutes et des bagarres. Alors qu'il parcourait le rayonnage « romans adolescents » lui parvint d'une oreille la conversation téléphonique d'une brune fashion victim de l'autre côté de quelques piles de livres.
-Mais si je t'aime!
-...
-Mais tu sais bien que je n'y suis pour rien! C'est pas ma faute si je suis enfermée!
-...
-Evidemment que oui...
-...
-Non, s'il te plaît ne viens pas ! Ne fais pas ça !
-...
-Quoi ? Qu'est-ce qu'elles ont les grilles à minuit ?
-….
-Non!
-...
-Clara!
La fille s'était levée. Elle criait le nom de sa petite amie dans son téléphone. Elle finit par se rasseoir, ses cheveux tombant sur son visage défait, les mains jointes en coque autour de son portable. Eliott ne pensait plus au livre qu'il était venu emprunter. « Devant les grilles à minuit », ces paroles lui trottaient dans la tête. Les grilles, ça ne pouvait être que celles du lycée, les seules que la fille qu'il avait devant les yeux pouvait atteindre. Ni elle ni sa petite amie n'avait le droit d'en approcher. Pour toutes les deux, cela risquait d'être mortel, elles pouvaient parfaitement se faire abattre. Il fallait éviter cela, sans toutefois montrer à quel point il avait été sans-gêne en écoutant cette conversation bien que ce fût au départ par accident. Il allait utiliser un moyen on ne peut plus indiscret, à la limite du voyeurisme, qu'on pouvait qualifier d'espionnage. Il attendit son tour pour accéder à un ordinateur. Auparavant, il se renseigna sur le nom et le prénom de la fille qui quittait à présent le CDI, l'air encore un peu chiffonné. Muni de ces informations, il consulta le profil de la demoiselle, Lise L******, et notamment la rubrique « informations ». Elle se disait mariée à une certaine Clara V******* dont il trouva l'adresse sur les pages blanches. Après quoi il envoya un mail à Margaux, laquelle lui répondit qu'elle ferait tout de son côté pour empêcher la jeune fille d'arriver.
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Message  Marguerite Orignal Mar 8 Juin - 15:59

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Margaux avait immédiatement appelé Clara après avoir reçu le mail d’Eliott. Celle-ci n’avait pas répondu au portable. Elle s’était alors tournée vers le numéro de fixe, espérant joindre ses parents. Personne n’avait répondu, personne n’était là. Margaux espéra qu’il n’était pas trop tard. Sautant dans un 26, elle appela Moïse qu’elle n’avait pas pensé à avertir avant de partir. Comptant les sonneries, elle gardait les yeux fixés sur le conducteur, comme si cela allait faire avancer le bus plus vite le bus. Driiiiiiing… Faites qu’elle ne soit pas immédiatement partie chez elle… Driiiiiiiing… Faites qu’elle n’ait pas eu de métro tout de suite… Driiiiiiing… Faites qu’elle renonce à venir… Driiiiiiiing… Faites qu’Eliott ait mal compris… Driiiiing… Faites qu’elle ne se fasse pas tirer dessus !
-Allô ?
-Moïse !
Margaux tenta d’expliquer clairement à son interlocuteur ce qui se passait. Il lui rit presque au nez, que voulait-elle qu’il y fasse ? La seule affaire officielle en lien avec le lycée, était le canicide, un peu tombé aux oubliettes. Il était à la Police Judiciaire, lui, pas garde-chiourme d’un établissement suspecté d’abriter de dangereux malades. Margaux se mordit les lèvres tout au long de ce discours pour ne pas hurler d’impuissance. Elle n’avait aucun moyen de localiser cette fille ni accès à une personne pouvant empêcher que Clara se fasse tirer dessus. Elle raccrocha, il lui restait une petite chance d’intercepter la fille à la sortie du métro. Et peut-être de parler à un responsable…
Enfin, Margaux atteignit l’arrêt Cours de Vincennes. Bondissant du bus, elle traversa au pas de course. Elle stoppa net devant Hélène Poissonnier. Où allait-elle bien pouvoir atteindre la fille ? Il y avait une sortie de métro devant chacun des deux lycées. Margaux tenta de réfléchir à la manière de Clara. Elle voudrait certainement être discrète et passer par l’arrière du lycée. Sortir du métro face à l’établissement ne serait pas très malin surtout à cette heure tardive. Elle sortirait donc plutôt du côté d’Hélène Poissonnier, d’autant plus qu’avec les travaux la sortie était en quelque sorte masquée. La lumière des réverbères était estompée par les arbres, on n’y voyait très clair. Margaux hésitait : attendre la jeune fille ou aller parler immédiatement aux militaires ? Elle décida finalement d’aller vers le lycée, les mains bien en vue. Évidemment, à peine avait-elle mis le pied sur le trottoir de Marcel Ravel qu’on l’arrêta. Que faisait-elle ici si tard ? Que voulait-elle ? Qui cherchait-elle ? Pourquoi venait-elle ? Le temps qu’elle parvienne à s’exprimer sous le tir nourri de questions, 5 bonnes minutes s’écoulèrent. Soudain, elle entraperçut une fine silhouette traversant la ruelle entre Poissonnier et Ravel en trombe. Elle s’interrompit alors, en s’énervant face au soldat dont la minutie était digne d’un bureaucrate. Tout à coup des cris, puis des coups de feu éclaboussèrent la nuit. Le militaire parut enfin un peu déstabilisé. Suffisamment pour que Margaux puisse dégainer son portable et appeler Eliott. Ils furent rejoints par un trouffion gradé plus haut que le bleu qui tenait Margaux en joue. L’autre crachotait dans son oreillette, l’air furieusement rébarbatif. Il se fit expliquer la situation par l’un et par l’autre, avant d’annoncer à Margaux que la fille n’était pas morte. Les premiers coups de feu avaient été amortis par les chiens, dégageant ainsi le passage vers le lycée. Quant aux autres tirs on ignorait s’ils avaient atteint quelque cible. Toutefois était-il qu’on n’avait pas vu de cadavres tomber. Le froid cynisme du gradé fit frissonner Margaux. Elle s’aperçut alors qu’elle avait toujours son portable collé à l’oreille et qu’Eliott lui parlait. Elle lui transmit les informations qu’elle venait d’obtenir, luttant pour ne pas se laisser submerger par tout ce qu’elle voulait lui dire et qui n’avait rien à voir avec ce qui les préoccupaient présentement. Les deux militaires semblaient s’être soudain transformés en statues de marbre.
-J’ai entendu les coups de feu, Margaux, je traverse la cour pour aller vers le local à poubelles, apr où est entrée Clara.
-J’espère qu’elle n’est pas blessée ! Ni morte…
-Le local poubelle est près de l’infirmerie, les autres adultes ont dû sortir en entendant les coups de feu.
-S’il y a un seul blessé, que ce soit Clara ou quelqu’un d’autre…fit-elle, menaçante, en regardant les militaires…
-Voilà j’y suis ! Il n’y a personne, Margaux. Pas de trace de sang à ce que je vois. Une poubelle a été blessée !
-Eliott, c’est pas le moment de plaisanter ! Qu’est-ce qu’on va faire ?
-De mon côté, je vais faire fouiller le lycée et me renseigner pour savoir si quelqu’un l’a vue. Toi, rentre à la maison.
-Je ne peux vraiment rien faire ?
-C’est à l’intérieur du lycée que ça se passe maintenant…
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Message  Marguerite Orignal Mer 14 Juil - 21:03

Elle raccrocha, des larmes de rage aux yeux. Après avoir conseillé aux militaires de quand même vérifier aux alentours du lycée qu’il n’y avait pas un cadavre tout chaud, elle tourna les talons. Elle avait la sensation d’être empêtrée dans un filet dont les mailles lui colleraient à la peau, s’emmêleraient dans ses doigts et ses cheveux… Elle avait été parfaitement inutile. Eliott lui avait fait confiance et elle avait été incapable de quoi que ce soit. Maintenant, la fille était enfermée avec les autres. Si elle avait pu rentrer c’était uniquement grâce à la surprise des soldats, qui ne s’attendaient pas à ce que quelqu’un veuille se jeter dans cette prison. Elle ne pourrait plus en sortir, ils s’y attendaient bien trop. Au moins n’était-elle pas morte. Mais c’était dû au pur hasard, même pas à son intervention. Elle en aurait hurlé de rage et d’impuissance, encore une fois.
*
En revenant du local poubelles, Eliott croisa quelques uns de ses collègues. Six adultes faisaient leur ronde, les autres dormaient à l’infirmerie. Il appela ceux qu’ils n’avaient pas croisé afin qu’ils guettent une brunette fashion-victim, reconnaissable à son air pas encore désespéré. Pour l’instant, personne n’avait rien vu, mais ils seraient sur leurs gardes. Il faudrait faire passer le message aux prochains surveillants, mais il ne restait plus que quelques heures avant le matin, bientôt tous les élèves seraient dans les couloirs, la fille serait plus difficile à repérer.

**
Elle avait déjà prévu l'endroit où aurait lieu la scène. Elle imaginait aussi, après sa représentation, les applaudissements qui lui seraient faits...oui, elle voyait bien très les bouquets de fleurs voltigeant (elle aimait particulièrement les glaïeuls), les "encore un! encore un!" et par-dessus tout, elle entendait les cris, les applaudissements, ce son régulier et passionné...qui semblait si proche...tellement proche...réel...tout près, juste là, derrière la porte de la salle aux murs bleus du deuxième étage du lycée Marcel Ravel. C'étaient simplement des élèves qui s'amusaient à jouer du tam-tam. La quarantaine était loin d'être terminée, c'est pourquoi ils brisaient leur ennui comme ils le pouvaient. Nox, redescendue dans le monde de la réalité, poursuivit son parcours (tracé depuis bien longtemps par sa cervelle dérangée...).
Tel un être robotisé, elle se dirigea au lieu adéquat (la salle rose) avec les pensées adéquates (en l'occurrence les gestes qu'elle ferait à ce moment-là et le masque qu'elle prendrait...) en comptant son nombre de pas- adéquats car elle avait répété cette scène assidument.
Certains meurtriers veulent toujours un meurtre spectaculaire.
Nox en faisait partie.
Elle poursuivit sa marche.
Elle avait tout simplement donné rendez-vous par un appel téléphonique privé à Clara, en contrefaisant légèrement sa voix, les filles ne s’étaient pas vues depuis longtemps, il était facile de leur faire gober n’importe quoi, la fatigue et le manque l’une de l’autre aidant. Elle avait fait croire à ces deux bécasses que l’une et l’autre se donnaient rendez-vous devant la grille. Les coups de feu lui annonçant la venue de Lise, elle avait pu intercepter Clara à temps (elle lui avait dit de s’y rendre peu après l’heure donnée à Lise) et la diriger vers la salle rose. Aussitôt elle s’était précipitée dans la cour, y avait trouvé une Lise errante et lui avait affirmé transmettre un message de la part de Clara en l’envoyant à la salle rose.
A l'heure dite, c'est-à-dire 5h, Clara et Lise, dont le sang ne battrait bientôt plus, se trouvaient, piaillant comme deux péronnelles pleines de vie, devant la salle rose. Nox avait pu dérober les clés dans la loge. Elle était arrivée bien avant (pour arranger la scène).
Elle les fit entrer, leur faisant croire à un élan de générosité, et à peine la porte fermée, paf! Nox assena un violent coup sur la nuque de l'une. L'autre n'eut pas le temps de réagir qu'un second coup tomba sur elle. Nox essuya son marteau (qu'elle avait pris dans l'atelier de menuiserie du lycée), barbouillé de rouge, cette arme meurtrière. Bien sûr, elle avait mis des gants, pris ses précautions...en fervente admiratrice de la célèbre et géniale Agatha Christie, pour elle cela était la routine.
Il ne manquait plus que la touche finale à cette scène : le homard.
Elle sortit discrètement de la salle -personne en vue, comme prévu. S'étant procuré ce homard dont ne sait quelle façon, elle le déposa près de la salle rose.
Il ne lui restait plus qu'à attendre, pour confirmer son hypothèse.
Puis la meurtrière s'en alla dormir un peu.
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Message  Marguerite Orignal Ven 27 Mai - 17:34

*
-Il faut trouver qui a fait ça, tu m’entends ?
Elle parcourait la pièce en large et en long, les mains dans le dos, l’air furieux, mâchonnant quelque chose. Elle avait tout du commissaire de police de roman, à part ses talons hauts et sa bouche rouge sang. Et la vocation, bien entendu…
-Ça ne peut être que quelqu’un de chez nous, mais quelqu’un qui a agi sans ordres ! Jusqu’ici, tout le monde attendait les ordres pour agir, qu’est ce qui s’est passé ? Il faut me retrouver qui a fait ça, il va passer un sale quart d’heure !
Il crut apercevoir un peu de sang sur les talons de la jeune fille, mais c’était impossible, elle avait tout minutieusement nettoyé, il l’avait vu faire.
-Tu vas me le retrouver, ok Fabrice ?
-Pourquoi moi ?
-Pourquoi pas toi ? Tu es le seul dans la pièce que je sache ! Le seul digne de confiance. Le seul qui soit venu, de ceux que j’ai convoqués !
-Tu n’avais convoqué que deux personnes, je te rappelle.
-Et alors ? S’il m’était fidèle, il serait venu aussi !
-T’énerves pas, Dina. Essaie de le comprendre un peu, c’étaient ses deux plus proches amies quand même…
-Mais vous êtes tous devenus stupides ou quoi ?? La quarantaine vous ramollit le cerveau !! Je me fiche que ce soient ses amies, est-ce qu’il nous avait jamais fait défaut avant ? Non, Fabrice, il était venu à chaque fois ! Il avait même annulé des rendez-vous avec des filles, séché des cours voire des fêtes pour venir à nos réunions ! Et aujourd’hui, rien ! C’est inadmissible ! Lui aussi, tu vas me le ramener, que je lui donne une bonne leçon !
-Mais enfin, Dina, jusqu’à aujourd’hui, aucune de ses amies n’était morte ! Et de toute façon, je suis beaucoup trop connu dans le lycée pour mener une enquête.
-Ça m’est égal ! Trouve quelqu’un, délègue, fais ce que tu veux, mais trouves moi l’inconscient qui a tué ses idiotes. Tu as une semaine, Fabrice, pas plus ! Ensuite, la quarantaine sera finie…
Fabrice sortit du bureau, sans trop savoir quoi faire. Dina était la seule personne avec qui son baratin habituel ne fonctionnait pas. Elle dirigeait tout, il ne faisait qu’obéir, malgré ses apparences de leader incorruptible. Au moins, cette-fois ci il avait réussi à tirer Loup d’affaire. Sans lui, il aurait probablement eu droit à un sermon carabiné. Il lui fallait trouver une personne de confiance, discrète, pas trop connue dans le lycée. Tiens, pourquoi pas Loup ? Non, Loup était trop connu, et puis il était mêlé à l’affaire, étant l’ami des deux victimes et de Dina. Jamais le meurtrier ne pourrait se confier à lui sans crainte !
*

Eliott surveillait la cour de récré, où les lycéens s’ébattaient, ou plutôt s’agglutinaient en tas un peu n’importe où. C’était un jour d’apathie, on pleurait davantage qu’on ne se battait. C’est fou comme la mort pouvait avoir des effets différents selon les personnes, les circonstances… Deux victimes d’un coup cette fois-ci. Il devenait urgent de trouver ce meurtrier. Une fois de plus la police avait refusé d’agir, et avait assuré qu’elle s’occuperait du dossier dès la levée de la quarantaine. Combien d’autres horreurs pouvaient encore être perpétrées en une semaine ? Il passa un regard circulaire sur la cour, qui sait si le meurtrier n’était pas devant lui ? C’est alors qu’il aperçut un lycée qui faisait de même, observant tout aussi attentivement que lui. Que cherchait-il ? Ces morts en série devaient sans doute créer des vocations de détective… Mais le manège de celui-là n’était guère discret. D’autres, dans l’ombre, épiaient sans doute leurs camarades. Pas vraiment l’ambiance rêvée pour une vie en communauté. Eliott soupira. Quels idiots ils avaient été de ne pas surveiller l’atelier de menuiserie avec tous ces meurtres ! Mais c’était une vieille salle oubliée du bâtiment BTS, qui ne servait plus depuis longtemps mais où il y avait encore tout le matériel pour qui savait forcer une serrure. Elle était désormais gardée, mais il était trop tard, Clara et Lise étaient mortes. Eliott s’en voulait terriblement, il avait été tout près de les sauver de cette triste fin mais il n’avait pas su aller au bon endroit, être assez rapide, deviner ce qui se tramait. D’ailleurs même maintenant, il ne comprenait pas ce qui avait pu se passer. A un moment, elles étaient pleines d’amour et de vie, s’élançaient l’une vers l’autre, ne pouvant supporter d’être séparées et l’instant suivant elles étaient froides, la nuque brisée d’un coup de marteau, mortes. Leurs deux petits cadavres reposaient dans les froides salles de Sciences, à même le carrelage, dans les vêtements où elles étaient mortes. Près d’elles, l’affreuse dépouille de Barbie, le corps de Lex, au visage boursouflé et bleui des noyés, et celui, plus pestilentiel de Gabriel, tombé en premier, victime des balles tirées le premier jour pour empêcher les lycéens de s’enfuir. Il avait été détrôné dans son statut de héros de la quarantaine par Saül, bien plus populaire. A vrai dire, la mort de Gabriel était passée beaucoup plus inaperçue que celle de ses camarades, car elle avait eu lieu dans l’effervescence alors que la communauté n’était pas vraiment encore née. La nouvelle n’avait pas eu le temps de se propager, bien vite supplantée par d’autres, telle l’annonce de la quarantaine. Il avait pourtant l’étoffe dont on fait les héros populaires, les mythes de révolution. Un visage d’ange, un air nonchalant, mais des principes, de la volonté, un peu d’ambition, un rêve, et puis le désir de liberté. Tout cela était parti en fumée, en même temps qu’une balle en plein cœur, il ne restait plus rien qu’une odeur de mort. Il était le seul dont on connaissait le meurtrier. Mais il était aussi le seul qui ne bénéficierait d’aucune enquête criminelle…
Eliott fut tiré de ses pensées par les cris d’un garçon. D’une main il tenait le poignet d’un autre garçon et de l’autre un sac à dos. Cette habitude qu’ils avaient de ne jamais se séparer de leurs sacs ! Ils auraient pourtant pu les laisser dans les pièces où ils dormaient et qui fermaient à clef ! Eliott s’approcha, pas question qu’une nouvelle bagarre éclate. L’un avait commencé à fouiller dans le sac de l’autre, on ne savait pourquoi, et démentait bien que tous les autres l’aient vu. Eliott le sermonna, faisant les gros yeux pour le dissuader de voler, ou prenant un air navré pour le dégoûter de la carrière de détective. En même temps, il se dit qu’il était temps qu’il prenne les choses en main. Après tout s’il était ici, c’était bien pour démêler les fils d’une enquête, au départ ! Mais il ne s’agissait plus de résoudre un canicide, il fallait mettre hors d’état de nuire un dangereux meurtrier.
*
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Message  Marguerite Orignal Ven 27 Mai - 17:35

Ce fut cette semaine-là qu’eurent lieu les élections. Certains maudirent le hasard qui faisait bien les choses. D’autres, plus lucides, maudirent le gouvernement, pourri au point d’avoir fait enfermé en quarantaine des milliers d’étudiants dans les lycées et dans les facs. Ce furent sans doute les seules élections où il y eut si peu de manifestations… Eliott en parla avec Fabrice, l’habituel meneur des actions militantes ravéliennes. Il trouva le lycéen très abattu.
-Allons Fabrice du nerf ! Dans une semaine ce sera fini ! Vous pourrez alors protester comme avant !
-Bah… pour quoi faire ? Se faire enfermer de nouveau, se faire taxer de malade ? A quoi bon ? Toute notre crédibilité est partie en fumée, si jamais on ose dire quoi que ce soit contre l’opinion publique on croira qu’on fait une rechute !
-Mais, Fabrice, c’était toi qui au début de la quarantaine encourageait tes camarades en leur disant que cette soi-disant maladie c’est la jeunesse ! C’était toi qui leur disais d’ouvrir les yeux sur les manipulations du gouvernement ! Qu’est ce qu’il t’arrive ?
-Bof… à quoi ça sert après tout ? On s’agite, on fait mine de se battre... Et puis quoi ? Du vent.
-Mais non, mais non, il faut toujours se battre Fabrice ! Même du vent, c’est déjà quelque chose !
-Qu’est ce que tu aurais fait, toi, hein ? S’énerva le jeune homme tout à l’heure apathique, si on avait fait du bruit on nous aurait sans doute rallongé la quarantaine ! Tu te rends compte ? Rallonger la quarantaine ! « ils font une rechute » aurait-on dit, et vlan ! Quarante jours de plus ! Ah non, non, ce n’est pas possible, quarante jours de plus… ça fait combien de meurtres à ton avis quarante jours de plus ? Ou même 3 semaines ? Six morts ? Trois ?
Eliott s’en alla, laissant le lycéen à nouveau abattu. Il alla voir du côté du CDI où était installé l’autre groupe. Là, Cris, qu’il trouva dans la salle des profs, lui tint sensiblement le même discours. Il serait toujours temps, selon lui, de lancer un mouvement après la quarantaine, pour l’instant il valait mieux se tenir à carreaux pour ne pas risquer une nouvelle mise en quarantaine… En sortant, Damien le tira par la manche pour attirer son attention vers quelque chose à droite de la porte. Le jeune homme ne le quittait plus depuis qu’Eliott l’avait trouvé debout au milieu du couloir, sortant d’une salle ensanglantée. Il avait assisté au meurtre, spectacle sans aucun doute traumatisant, vu l’état peu ragoûtant du cadavre de Barbie. Il ne décrochait plus un mot, se défiait de tout le monde et suivait le pion comme son ombre. De temps à autre il attirait son attention sur tel ou tel détail, se rappelant à sa pensée. Cette fois-ci, il s’agissait d’un aquarium, situé près de la porte d’entrée. Dans cet aquarium nageaient des homards…
-Des homards, Margaux, tu te rends compte ? En plein QG du camp de Sylvie !
Eliott profitait de sa pause pour informer Margaux de sa dernière découverte par sms. Jusque-là il lui téléphonait pour l’informer des avancées de son semblant d’enquête, mais depuis qu’il avait vu ces homards il avait l’impression d’être en danger. Un peu comme si les crimes n’avaient pris de réalité qu’avec la découverte des homards. Pourtant, il avait vu les cadavres de ses yeux, parfois même les avaient découverts ! Mais c’était comme si jusque là il avait été simple spectateur de cette série sanglante…
-Eliott, il ne reste qu’un peu plus d’une semaine, tiens-toi à carreaux, s’il te plaît ! Il ne manquerait plus qu’il t’arrive quelque chose si près de la fin de la quarantaine…
-Je tiens enfin un bout de piste, je vais pas laisser tomber comme ça ! Je sais que c’est dangereux, j’en ai déjà la chair de poule !
Après tout qu’allait-il faire maintenant ? Quelle était la marche à suivre maintenant qu’il savait d’où provenaient les homards ? Cela indiquait-il de quel camp faisait partie le meurtrier ? Ou fallait-il se contenter de chercher qui avait accès à la salle des profs sans se cantonner à tel ou tel camp ?
-Dans la salle des profs tu dis ? C’est bizarre, c’est à cet endroit qu’étaient rangées les cravates, et c’était une cravate qui avait été utilisée pour tuer le chien de Madame Aqueduc !
-Tu crois que c’est lié ?
-Je sais pas mais pas question que tu cherches plus loin pour le moment !

Pauvre Margaux, elle était si inquiète… Il y avait de quoi, bien sûr mais il n’aimait pas la voir dans cet état. Ça devenait épuisant, un mois et trois jours sans se voir ! Il allait tout de même chercher d’autres indices, quoi qu’elle en pense. L’huis-clos favorisait le meurtre mais il facilitait aussi l’enquête, personne ne pouvant sortir ni venir de l’extérieur ! A présent, il fallait qu’il trouve comment procéder. Il ne pouvait décemment pas retourner voir Cris et lui demander une liste des personnes qui avaient accès à l’aquarium ! Et si c’était lui le meurtrier ? Dans ce cas, il ne lui aurait certainement pas accordé un entretien dans cette pièce, il n’était pas si bête… En tout cas le meurtrier, lui, était assez intelligent pour n’avoir laissé aucune trace qui permette de l’identifier immédiatement. A moins…oui, il pouvait tout à fait être machiavélique au point d’avoir fait en sorte qu’Eliott voie les homards afin qu’il suive ce raisonnement et le disculpe ! Non, c’était un peu trop compliqué quand même… Ce n’étaient que des gosses tout de même ! Bon, d’accord, des gosses majeurs pour certains, des gosses quasi adultes, mais encore assez gosses pour fumer au nez des parents rien que pour les embêter et pour dire que « le prof ne les aime pas » s’ils ont des mauvaises notes. Bien, il fallait donc observer d’un peu plus près tout ce petit monde. L’observation des lycéens, ça il était payé pour (enfin, là, il était peut-être plutôt en congé maladie. Ou pas ? Ce serait à méditer cela, quelle était donc la réglementation des paiements en cas de quarantaine ? ) il pouvait donc les observer sans avoir l’air suspect. Enfin, de pas trop près non plus, la population était suffisamment paranoïaque ainsi, pas la peine d’en rajouter. Pas la peine non plus de se faire tuer inutilement pour avoir mis son nez un peu trop près. D’autre part, les lycéens ne livreraient sans doute pas tous leurs états d’âme s’ils le savaient non loin d’eux, il avait une figure bien trop autoritaire dans la hiérarchie du lycée. Eliott coula un regard vers son voisin…. Non non non, il ne pouvait pas envoyer ce pauvre gamin au casse-pipe, il était déjà assez traumatisé comme ça, il n’allait pas en plus l’envoyer écouter les meurtriers potentiels ! Quoique… après tout, comme il ne disait plus un mot depuis des jours, tout le monde devait penser qu’il n’était plus du genre à dévoiler les secrets. D’autant plus que ceux qui ne le côtoyaient pas ignoraient ce qui pouvait bien lui passer par la tête et s’il entendait vraiment ce qu’on lui disait. Eliott quant à lui, savait qu’il se passait beaucoup de choses dans cette pauvre tête… Combien de fois Damien n’avait-il pas levé des yeux suppliants vers lui semblant dire « s’il te plaît trouve le bouton pause de mon cerveau moi je n’y arrive pas » ? Il voyait et entendait tout, il suffisait de compter le nombre de fois où il lui avait fait remarquer quelque chose pour s’en rendre compte. La plupart du temps il ne s’agissait que de quelqu’un qui appelait le pion, d’un papier par terre, d’une crise d’angoisse quelque part ou de quelque immondice sur laquelle il allait marcher. Mais ces détails montraient bien que tous ses sens étaient en éveil.
-Damien… ce que tu m’as montré… Qu’est-ce que tu en penses ?
Le jeune homme avait simplement levé les yeux vers lui mais les avait tout de suite baissés lorsqu’il avait entendu la fin de la question. Qui ne tente rien n’a rien, se dit Eliott.
-Tu es le seul à avoir vu ce qui s’est passé. Le seul à savoir qui est la bête monstrueuse et sanguinaire en liberté dans ce lycée ! Le seul à pouvoir la reconnaître. Tu dois m’aider Damien ! Il y avait des homards quand tu …
Eliott s’arrêta. Il connaissait la réponse. Il n’y avait pas de homards dans la salle où Barbie avait été tuée. Le meurtre avait eu lieu dans la soirée, assez tôt pour que le cadavre ait pu être dissimulé, assez tard pour que le sang soit encore frais quand Eliott était arrivé. Mais pas de homards…. Pourquoi ? Que signifiaient-elles ces bêtes-là ? Quel était leur rôle ? A chaque fois elles indiquaient la présence de cadavres, mais cela signifiait-il pour autant que homard était synonyme de scène de meurtre ?
Après qu’ils eurent passé plusieurs heures à méditer, Damien tendit à Eliott un exemplaire de Hamlet. Perplexe, le pion feuilleta l’ouvrage tout en essayant de se le remémorer. Puis la lumière se fit. Le meilleur moyen de confondre un meurtrier est encore de lui représenter ses méfaits. Faire croire qu’on avait un semblant de piste et d’indices pouvait généralement être efficace, en général cela poussait l’assassin à commettre quelques imprudences. Une reconstitution d’un des meurtres semblait donc être un moyen efficace. Les critères de sélection seraient l’unité de temps et celle de lieu, non pour respecter d’antiques lois dramatiques mais par commodité. Il fallait aussi que le nombre de personnages soit réduit, Eliott ne pouvant compter que sur Damien pour l’aider dans son projet. Il ne pouvait donc pas s’agir de l’assassinat de Clara et Lise. De toute façon, le responsable avait avoué et sa disparition avait permis de l’identifier. Restaient le massacre de Barbie, l’immersion de Lex et la pendaison du chien Argos. Impossible de choisir le commencement, ils n’avaient pas de chien sous la main.
Une fois sa décision prise, Eliott retourna rendre le livre au CDI. Alors qu’il donnait l’ouvrage au lycéen préposé à la surveillance des lieux, quartier général des Zantis, un autre lycéen à leur droite se leva vivement, s’empara d’un livre au sommet d’une pile et sortit sans prendre la peine de passer par le comptoir.
-Ces livres sont en libre service ? Ils ne sont pas magnétisés ?
-Tous les livres sont magnétisés, répondit le lycéen les yeux fixés sur l’écran d’ordinateur pour continuer à remplir le formulaire d’emprunt.
-Pourquoi le portique n’a-t’il pas sonné alors ?
- Ça ne fonctionne plus.
-Ah bon ? Depuis quand ?
-Depuis quelques semaines, ils doivent avoir de plus en plus de choses à payer.
-A payer ? Quel rapport avec les livres ?
Le lycéen le regarda enfin. Si tant est qu’un rapide coup d’œil puisse être considéré comme un regard :
-Laissez tomber.
L’air embarrassé, il tenta de sembler affairé et de s’échapper vers les rayonnages. Le surveillant le saisit par le bras :
-De quoi tu parles ?
-Laissez tomber. Je veux pas avoir d’ennuis. Pas avec eux. Surtout pas avec elle.
-Avec qui ? Qui ça elle ? insista Eliott en serrant le bras du jeune homme de plus en plus fort.
-Les Carabineros. Dinah.
Il se dégagea d’un coup sec et disparut dans les profondeurs de la bibliothèque. Intrigué, Eliott s’en alla fouiller dans les trombinoscopes, à la recherche de cette Dinah. Au bout d’un certain temps, il ne tournait presque plus les pages que par automatisme. Soudain, une photo frappa son attention. C’était La Rousse. Curieux de se remémorer le nom qu’il oubliait toujours, il lut la légende accompagnant l’image. Elle s’appelait Dinah. Dinah Carabinero. Etait-ce elle que craignait le lycéen du CDI ? Elle semblait pourtant n’avoir qu’un rôle minime parmi les Carabineros. Les chefs étaient toujours Loup et Fabrice, pas Dinah.
Lorsque la représentation eut lieu, il ne restait qu’une semaine avant la fin de la quarantaine. Sept jours avant que tout ce petit monde ne s’égaye dans la nature, sept jours pendant lesquels les conditions nécessaires au dénouement de l’enquête.
On avait finalement opté pour la scène du meurtre de Lex. Une table à l’envers sur les pieds de laquelle était installée une bassine vide figurait l’évier arme du crime, Damien jouait le rôle de Lex, Eliott celui du meurtrier. Ils avaient préparé un texte à partir des classiques du genre et de ce qu’Eliott devinait. Quelques « tu n’aurais pas dû faire ça » sans préciser ce qu’était le « ça », des « tu as trop de dettes je peux pas tolérer ça » et autres « soit tu me paies soit je te tue » en faisaient toute l’essence. Les lycéens regardaient le spectacle avec une curiosité morbide, ou s’observaient les uns les autres dans l’espoir de découvrir le meurtrier. Ils n’avaient pas tous lu Hamlet, mais tous avaient vu des films ou séries policières au moins une fois. Eliott tentait de jeter des coups d’œil dans l’assemblée tout en restant discret, mais il aurait fallu une observation plus attentive pour déceler d’éventuels signes de gêne sur un visage particulier dans cette foule nombreuse.
-C’est honteux ! Tout ce que vous faîtes c’est mettre en scène une scène de meurtre pour satisfaire vos pulsions morbides ! Vous n’avez aucune preuve, vous n’êtes mêmes pas sûrs de reproduire les lieux du crime ! Je refuse de souscrire à ça !
Sur ces mots, Dinah se leva et quitta l’assemblée, très digne mais l’air furieux. Quelque peu surpris Damien et Eliott regardèrent partir les autres spectateurs certains pour suivre Dinah d’autres suivant le mouvement, légèrement déroutés. La Rousse ne prenait jamais la parole en public. Elle était toujours discrète, toujours dans l’ombre de Fabrice et Loup. Dans l’ombre…
On ne pouvait accuser Dinah du meurtre de ses camarades sur la seule base de sa réaction sortant de l’ordinaire. Peut-être était-elle tout simplement une amie de Lex choquée par la scène. Ou une âme sensible. A tout hasard, Eliott entreprit de chercher dans les fichiers du lycée si Lex et Dinah pouvaient se connaître. Ils avaient effectivement été dans la même classe de première ES l’année précédente. Tiens ! Et avec eux, il y avait aussi eu Clara. Laquelle avait été en seconde dans la classe de Lise, les deux filles n’étant plus ensemble qu’en cours de latin avec Lex, Barbie et Saül et ce depuis la seconde. Barbie était dans la classe de Dinah cette année. Et Saül ? Apparemment il n’avait aucun lien avec Dinah. Il avait été assassiné avant la quarantaine, certes, mais ç’avait été le premier meurtre du lycée. Mais pas le premier crime puisqu’avant cela il y avait eu le canicide. Étrangement, toutes les victimes étaient reliées au canicide puisqu’ils étaient tous des élèves de cette professeure de latin. Les seuls survivants de ce groupe étaient trois jeunes filles nommées Nox, Pyrrha et Ondine et un garçon… Loup. Margaux avait interrogé Pyrrha et Ondine à l’époque du canicide, et les filles n’avaient pas été enfermées puisqu’elles séchaient ce jour-là. Nox quant à elle avait disparu pendant la quarantaine, elle était une des rares assez intelligentes à avoir pu déjouer la surveillance des policiers, chiens-policiers et surveillants. Loup, lui, était toujours dans le lycée, dans les basques de Dinah. Tous reliés au latin, tous reliés à Dinah. Tous des suspects, tous des victimes.
Il y avait quelque chose de peu clair avec ces livres. Apparemment, ils servaient à payer quelque chose. Mais quoi ?
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Message  Marguerite Orignal Ven 27 Mai - 17:36

Eliott se rendit dans le premier bureau de CPE libre. Il ouvrit le fichier des emprunts du CDI. Saül n’avait pas de livres en retard, Lise, Clara, Lex et Barbie non plus. Ils ne semblaient même ne jamais avoir emprunté quoi que ce soit. Par contre, il y avait un pic d’emprunts quelques jours avant leurs meurtres. Et beaucoup de ces livres n’avaient jamais été rendus. Sans doute pouvait-on répondre à certaines questions si on les retrouvait. Justement, c’était l’heure de la session de réunion des profs, des surveillants et des membres de l’administration. Sous l’influence de Fabrice, la gérance du lycée pendant la quarantaine avait pris des teintes de société autogérée. Les décisions étaient prises en réunion via diverses assemblées séparées en sections. Eliott laissa Damien dans le bureau du CPE qu’ils occupaient et se dirigea vers la salle de cinéma. On aborda quelques problèmes habituels dont la tenue des sanitaires, la discipline, la prise en compte ou non des devoirs faits pendant la quarantaine, l’absence de réponse du rectorat… Puis Eliott prit la parole :
-On constate une recrudescence des emprunts au CDI et avec elle une augmentation des livres en retard. Les usagers ne peuvent prétexter avoir publié les livres chez eux mais malgré les avertissements, beaucoup de livres ont disparu. Décidons, d’un soir où lorsque les élèves seront réunis dans leurs salles nous irons les prier un par un de rendre les livres en retard.
Ses collègues répondirent avec plus d’enthousiasme qu’il ne s’y attendait. On compléta l’inventaire le lendemain et on lança l’opération de récupération le surlendemain. On était mercredi lorsqu’elle eut lieu, il ne restait plus que quatre jours avant la fin de la quarantaine.

Ils purent récupérer la plupart des livres en retard empruntés de façon régulière sans problème. Pour ceux dont seule la disparition avait été enregistrée ce fut plus compliqué. On dut fouiller les salles et les sacs, dans un concert de protestations. On en retrouva quelques uns, mais guère plus de deux ou trois. La fouille du QG des Zantis se déroula plus rapidement. Cris et Sylvie ayant expliqué que nul n’était au-dessus des lois, ils devaient s’y plier comme tout le monde. Chez les Carabineros, ils durent faire face au virulent Fabrice. Pour lui c’était bafouer les droits de propriété et à la vie privée, insulter les élèves en montrant si peu de confiance, faire preuve d’une avarice tatillonne et bourgeoise. Ses camarades durent le retenir pour qu’il ne se lance pas dans une diatribe enflammée. On fouilla jusqu’aux placards, jusqu’aux tiroirs des bureaux, et jusqu’aux dossiers administratifs. Ce fut très efficace, on retrouva absolument tous les livres disparus.
-Fabrice c’est très bien la solidarité, mais de là à cacher des livres volés… s’apitoya un professeur.
-Ils ne les cachaient pas, intervint Eliott.
-C’est l’un de vous qui les voliez ? S’écria une jeune professeur, Mademoiselle Arp.
-Non plus, c’est bien plus compliqué que ça.
Le pion scruta les visages des Carabineros présents. Loup était encore plus pâle que d’habitude mais une étrange flamme brillait dans ses yeux. Le regard de Fabrice était dur et déterminé, on sentait qu’il était tendu rien qu’à voir ses épaules. Au milieu d’eux, Dinah se tenait droite et fière, un air de défi sur le visage.
-Ces livres sont des moyens de paiement. Beaucoup plus discrets que des billets, des portables, et autres produits technologiques de haut prix. En effet, qui penserait à stipuler dans un règlement intérieur l’interdiction d’avoir des livres au lycée ? Qui trouverait suspects deux lycéens en train de s’échanger un livre ? C’est très pratique ces petites bêtes, ça ne se remarque pas, il y en a de tous les formats et de toutes les valeurs, ça peut se revendre ou s’utiliser pour soi-même, on peut ne jamais demander les mêmes… Que payait-on avec ces livres ? Oh, il y a tellement de choses à acheter dans un lycée ! Regardez ce que j’ai trouvé dans ces photocopieuses…
Il tendit quelques pages à Mme Aqueduc et d’autres à un CPE rescapé.
-Le corrigé du contrôle du mois prochain !
-Le relevé d’absences de Gaspard Martin ? Deux demi-journées d’absence dans le trimestre ? Mais il est absent un jour sur deux ! Ce n’est pas possible, vous ne les trafiquiez tout de même pas ?
-Il faut croire que si. Et ça ne s’arrête sans doute pas là. Modifications de bulletins, de relevés d’absences, de convocations, de verdict de conseil de discipline, de corrigés de contrôles futurs, manœuvres d’intimidation de professeurs… On commence par envoyer des menaces puis on crève des pneus, on vole des cravates, on pend un chien…
-C’est faux ! Je n’ai pas de sang sur les mains !
-Non, vous en avez sur vos chaussures.
Il brandit une paire de talons, trouvée dans le sac de la jeune fille. Celle-ci était plus blanche que son asperge de compagnon, mais elle gardait son air fier. Elle restait muette tandis que ses yeux foudroyaient l’assemblée. Que pouvait-elle répondre à ça ?
-Du sang ? s’étonna mademoiselle Arp, Comment est-il arrivé là ?
Eliott garda les yeux fixés sur Dinah.
-Il y a des marques rondes sur les jambes de Barbie. Je suis sûr qu’elles correspondent à ces talons, vous ne croyez pas Dinah ?
Il remit les chaussures maculées de sang dans le sac qu’il tenait à la main.
-Cette pétasse l’avait méritée ! s’étrangla Dinah
-Ah oui ? J’imagine que Lex, Lise, Clara et même Saül le méritaient aussi ?
-Je ne les ai pas tués !
-Très bien vous n’avez charcuté que Barbie. Mais les autres ? Ils sont morts tous seuls ? Vu leur état, j’en doute. Ce n’est pas très facile de se donner un coup de marteau seul. Ni de se maintenir la tête dans un évier penché à angle droit, les mains liées.
-Laissez-la tranquille. Puisqu’elle vous dit qu’elle ne les a pas tués. Siffla Loup entre ses dents
-Je ne pense pas que vous ayez tué vos amies, Loup. Mais Lex est plus petit que vous, il a dû être facile de lui maintenir la tête sous l’eau.
-Tout le monde le détestait…
A nouveau, Eliott se tourna vers ses collègues.
-Etranges excuses non ? Barbie le méritait, et Lex était unanimement détesté. Tout le monde souhaitait les voir disparaître et avec la quarantaine, les pulsions meurtrières des uns et des autres se trouvent libérées. C’est si facile, on vole un livre, on le donne à celui qui a accepté le contrat et on est débarrassé des gêneurs à tout jamais.
-Mais…Et pour Saül ? intervint un des pions, Je comprends qu’en période de quarantaine les pulsions soient exacerbées mais avant ?
-La mort de Saül a été le déclencheur de ce trafic de crimes. Dinah ici présente y a pris tant de plaisir, il a été si facile de le tuer… N’est-ce pas Dinah ? Si c’est si facile pourquoi ne pas en tirer profit ?
-Il n’avait pas respecté les règles. Il devait être puni.
-Et ça été si facile de passer du règlement de comptes au meurtre… Vous avez nié avoir tué Argos, le chien de Mme Aqueduc. Je vous crois volontiers, quel intérêt y auriez-vous eu à ce moment-là ? Vous ne connaissiez même pas Mme Aqueduc, même pour une bibliothèque entière vous n’auriez pas pris la peine d’intimider un professeur de façon si compliquée, et vous ignoriez le plaisir du meurtre.
-Saül. Gloria et leur pote, là, l’ont aidé. Nous lui avions procuré les cravates et la clé de la salle.
Loup paraissait abattu, épuisé, à bout de patience. Il reprit :
-Saül avait besoin d’un dossier irréprochable pour recommencer sa vie. Il était convaincu que c’était à cause des commentaires et punitions de Mme Aqueduc qu’il n’y était pas arrivé. Il voulait se venger.
-Mais j’ai toujours tenu à ce que mes commentaires soient encourageants ! Je ne peux tout de même pas mentir sur l’attitude des élèves !
-Oui, oui, bien entendu Mme Aqueduc.
Il se tourna vers les trois chefs.
-Quelles règles n’a-t-il pas respecté ?
-On leur fournissait ce qu’ils demandaient. En échange ils payaient et faisaient ce qu’ils voulaient de ce qu’on leur avait donné à condition de ne pas nous y mêler. Tuer un chien dans le lycée au moyen de ce qu’on lui avait procuré, c’était nous mettre en danger.
Pour une fois, Fabrice parlait calmement. Cependant le feu couvait en lui, on sentait une certaine agressivité dans sa voix, ses poings étaient serrés.
-Alors vous vous en êtes débarrassés. Mais vous vous êtes mis encore plus en danger, vous avez libéré un monstre. Et ce monstre vous le protégez depuis le début Fabrice. Vous faîtes mine de ne rien voir, vous couvrez ses crimes, du moment que vous pouvez mettre en pratique vos idées politiques. Dîtes-moi, Fabrice, pourquoi le marteau pour tuer Claire et Lisa ? La faucille n’aurait-elle pas été plus efficace ?
-Je ne les ai pas tuées. J’ai été aussi corrompu que tous les politiciens véreux mais je n’ai tué personne. Personne.
-La lettre que nous avons reçue quelques jours après comme venant du meurtrier aurait pu être envoyée par l’un de vous. Mais tous ces meurtres sont très différents. Trop pour que ce soit le même meurtrier à chaque fois. Pourtant les paiements nous ramenaient à vous.
-Mais personne ne nous a demandé de tuer Lise et Clara, s’écria Dinah !
-Il n’y a pas autant de livres volés dans les jours précédant leur mort que dans ceux précédant celles de Lex et Barbie. Et on aurait eu du mal à vous demander de tuer Clara, qui a décidé quelques heures avant sa mort de rejoindre Lise. Seul quelqu’un qui aurait été dans le CDI pour entendre cet appel téléphonique aurait pu organiser ce crime. C’est donc quelqu’un qui a agi de son propre chef… Pas l’un de vous, vous n’avez fait qu’obéir à la loi de l’offre et la demande. Deux crimes sanglants, c’est la marque de Dinah. Un crime bien préparé, propre, net, sans paiement… Rien à voir avec vous. Le seul point commun ce sont les homards.
Les trois jeunes gens levèrent la tête. Leur air coupable s’était mué en lueur d’intérêt.
-Pourquoi ? Pour signer le crime et ainsi effrayer vos camarades ? Après tout « homard » se dit « carabinero » en espagnol… Votre nom de famille, Dinah, et le nom de votre groupe.
La jeune fille avait ouvert de grands yeux.
-Vous êtes sûr ?
-Oui, je suis certain que vous vous appelez même si j’ai eu du mal à le retenir. Mais peut-être n’y aviez-vous pas pensé. Peut-être était-ce simplement pour accuser les Zantis puisque les homards se trouvaient chez eux ?
-Les homards apparaissaient après les crimes, lâcha Loup. Après que nous ayons quitté les lieux.
-Nous finirons bien par trouver la réponse. A présent il importe de vous mettre à l’écart tous les trois, pour que vous vous teniez à carreaux pendant les quatre jours à venir, dit le CPE d’un ton professionnel. Une des salles près de notre morgue improvisée ira très bien.
On entraîna les trois criminels au troisième étage. Ils se laissèrent conduire sans résister, tels des enfants pris en faute. Déjà des rumeurs de toutes sortes couraient parmi les élèves. On les renvoya tous se coucher, l’heure était plus que tardive. Le lendemain, on tâcha de réunir tout le monde dans la cour du lycée. La tâche était plus ardue sans les chefs des Carabineros. Les Zantis étaient peu suivis mais on y parvint tout de même. A l’annonce de l’arrestation de la veille et des explications des meurtres, des cris éclatèrent. Il fut très difficile de ramener le calme. Certains n’y croyaient pas, d’autres paniquaient à l’idée que leur participation au trafic soit découverte.
Lorsqu’enfin on y parvint le rythme des journées ordinaires reprit. Pendant les quatre jours qui suivirent une atmosphère étrange régna. On ne craignait plus pour sa peau, mais on suspectait son voisin d’être capable de commanditer sa mort. Il y avait toujours une tension mais sa cause avait changé. Il était temps que tout le monde soit rendu à la liberté.
Le jour où ils furent enfin libérés, tout s’organisa pour le mieux, comme s’ils avaient fait ça toute leur vie. On fit sortir d’abord les meurtriers, qui furent récupérés par les policiers, puis on laissa entrer les infirmiers pour récupérer les corps. Chacun se mit alors en place dans la queue et sortit en ordre. Pour tous cela semblait irréel, et la discipline alors appliquée tenait sans doute au fait que personne n’avait vraiment l’impression qu’ils allaient sortir pour de vrai. Alors que les derniers sortaient, Eliott retint Cris par la manche :
-Je n’ai pas beaucoup de questions, Cris, mais ça reste très important pour le développement de l’enquête.
-Mais ça n’est pas fini ? Vous avez les meurtriers et les mobiles maintenant non ?
-Si mais il nous reste un point à éclaircir… Pourrais-tu retrouver quand et comment les homards ont disparu ?
Cris fronça les sourcils :
-Aucun homard n’a disparu…
-Hum, je voulais parler des homards qui ont été déposés sur les lieux des crimes… Ils venaient bien d’ici n’est-ce-pas ? Je ne vois pas d’où sinon… On ne pourra sans doute pas remonter jusqu’au canicide, mais au moins pour les meurtres suivants…
Cris eut un sourire amusé :
-Oui, ils venaient bien d’ici. Mais ils n’ont pas été volés.
-Mais alors… ?
-C’était Sylvie ou moi qui les déposions. On pensait que ça aiderait à comprendre qui étaient les meurtriers.
-Mais…vous saviez ? Depuis tout ce temps-là vous saviez ?
-Evidemment ! Pourquoi on aurait choisi de mettre des homards sinon ? En espagnol « homard » se dit « carabinero », vous voyez où je veux en venir ?
-Oui, j’ai fini par comprendre, il y a quelques jours… Mais pourquoi ne pas nous en avoir parlé ?
-Notre politique est de ne jamais intervenir. Nous préférons manifester notre désaccord par la parole, d’où notre nom les, Antis, ou Zantis, mais nous n’influons pas sur le cours des choses.
Eberlué Eliott regarda Cris s’éloigner et franchir les grilles. La solution de l’énigme était là tout près et à cause d’une idéologie à la noix ils n’avaient rien su… A son tour, il marcha jusqu’à l’extérieur, comme dans un état second. Il ne sortit de son hébétude qu’à la vue du sourire de Margaux, splendide dans la lumière du couchant.

FIN
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